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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

tandis que j’ai donné un cachet sublime à la copie d’un sujet assez médiocre. Les syrènes de cette lyre sont deux jolies filles, les miennes sont deux déesses, et vos efforts seront vains : l’univers les jugera et confondra votre plate jalousie ou votre stupide aveuglement.

(Il sort emportant son album.)
le maestro.

Ceci est de plus en plus étrange. Lui aussi, pris de vertige et devenu fou pour avoir seulement regardé cette lyre ! Oui, la prédiction se réalise ; le délire de la vanité s’empare des talens médiocres qui violent la virginité du talisman. Ô lyre magique ! je reconnais la puissance surnaturelle qui réside en toi, et, puisque tu promets la sagesse et la prospérité à celui qui te fera parler dignement, je m’approche de toi avec une confiance respectueuse, et je me flatte de tirer de toi des harmonies telles, que toutes les puissances du ciel ou de l’enfer qui ont présidé à ta formation viendront se soumettre à moi et m’obéir comme au grand Adelsfreit lui-même.

le critique.

Prenez garde : ce qui s’est passé sous nos yeux tient en effet du prodige et doit vous servir d’enseignement…

le maestro.

Vous doutez de ma puissance ?

le critique.

Oui, j’en doute, permettez-moi de vous le dire. Je vous ai assez loué en public, je vous ai rendu assez de services pour que vous ayez en moi un peu de confiance. Contentez-vous des couronnes que ma bienveillance vous a décernées ; contentez-vous de la renommée que ma plume vous a acquise. Vous avez abusé les hommes ; ne vous jouez point aux esprits d’un autre ordre…

le maestro.

Je ne sais ce que vous voulez dire, et je crains que, pour avoir porté une main profane sur la lyre, vous aussi vous n’ayez perdu l’esprit. Je ne dois ma renommée qu’à mes chefs-d’œuvre, et ce n’est point la plume vénale d’un folliculaire qui peut décerner des couronnes. Le génie se couronne lui-même ; il cueille ses lauriers de ses propres mains, et il méprise les conseils intéressés des flatteurs qui voudraient le faire douter de sa force, afin de se donner de l’importance.

le critique, lui tendant la lyre.

Vous le voulez ! Soit : que votre témérité insensée porte ses fruits et que votre destinée s’accomplisse.