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REVUE DES DEUX MONDES.

modèle. Il est possible que cela soit original ; mais je n’y vois aucun rapport avec la lyre d’Adelsfreit.

le peintre.

Cher maestro, vous êtes trop lourd pour faire de l’esprit ; contentez-vous de piller les grands maîtres et de nous donner pour les inspirations de votre muse des vols infâmes mal déguisés sous une broderie de mauvais goût ; laissez l’ironie légère à monsieur, qui s’en sert si bien, comme chacun sait, et dont les anathèmes sont, pour les hommes comme moi, des brevets d’immortalité. (Au critique.) Oui, monsieur, je vous brave et vous méprise ; vous le savez bien. En voyant cette simple esquisse empreinte d’une grandeur à laquelle vous ne sauriez atteindre, vous pâlissez de rage, et, ne pouvant comprendre ni la beauté, ni la grace, vous affectez de voir des sujets grotesques dans ces emblèmes charmans de la séduction…

le critique, au maestro.

Emblèmes de la séduction ! deux satyres hideux, pris de vin et se renversant avec un rire obscène !

le maestro, au peintre.

Sur l’honneur ! mon maître, vous avez la vue troublée ou l’esprit égaré. Ces deux hommes à pieds de bouc sont une composition indigne de vous. Remettez-vous, je vous prie ; ouvrez les yeux, et ne prenez point en mauvaise part l’avis, que je vous donne dans votre intérêt, de les anéantir.

le critique.

C’est mon avis aussi.

méphistophélès, à part.

Allons donc ! battez-vous !

le peintre, en colère.

Oui, vous voudriez bien qu’il en fût ainsi. Mes bons amis, je vous connais. Vous m’avez trahi tant de fois, que j’ai appris à faire de vos conseils le cas qu’ils méritent. En qualité de misérables plagiaires, vous voyez avec désespoir grandir les talens d’autrui ; toute supériorité vous écrase, et, habitués que vous êtes à copier servilement, vous criez à la bizarrerie et à l’exagération lorsque, dans l’imitation d’une œuvre d’art, vous voyez le génie de l’artiste surpasser son modèle. Eh bien ! vous avez raison ! mes deux syrènes ne ressemblent point à celles de la lyre, pas plus que vos ouvrages, à l’un et à l’autre, ne ressemblent aux ouvrages que vous avez imités ; mais avec cette différence, que vous gâtez grossièrement tout ce que vous touchez,