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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

sorcelée. Le fait est qu’il vous fit une si belle peur le jour où il vous surprit grattant les cordes du pauvre instrument, que vous en eûtes une fièvre cérébrale. Il est de la nature de ces maladies de recommencer avec les causes qui les ont fait naître. Voilà pourquoi maître Albertus vous a défendu de toucher à la lyre. S’il était plus prudent, il la cacherait ; car vous n’avez qu’à avoir la fantaisie d’y toucher encore, et cette fois vous seriez folle pour toute votre vie. Cela serait fâcheux pour lui, car vous ne pourriez pas vous marier, et vous resteriez à sa charge. Le cher homme n’est pas riche. Il est forcé, par manque d’argent autant que par amour pour la philosophie, de porter ses habits un peu râpés, et son potage est aussi maigre que sa personne.

Hélène, s’éloignant de la lyre avec effroi.

Oh ! oui, Albertus vit de privations, et moi je ne manque de rien. C’est la vérité. Comment n’ai-je pas encore songé à la dépense que je lui occasionne ! Je ne pense à rien, moi ! Ah ! j’épouserai qui l’on voudra pour le débarrasser de moi.

méphistophélès.

Moi, je vous conseille de prendre Carl. C’est le mieux tourné, le plus riche et le moins pédant des trois. Mais cela ne me regarde pas, direz-vous. Au reste, votre tuteur vous aime tant, qu’il pourra vous épouser lui-même, quoiqu’il soit d’âge à être votre père. Il est vrai que, s’il a des enfans, il faudra qu’il demande l’aumône… Mais quand on aime, tout est bonheur et poésie, n’est-ce pas ?

hélène.

Tout ce que vous dites est amer comme du fiel. J’aimerais mieux mendier moi-même que d’augmenter la gêne de mon respectable ami.

méphistophélès.

Il faudra pourtant bien qu’il se gêne encore un peu, car j’ai besoin de mon argent. Je veux partir demain pour Venise, et il faut que j’aie achevé ce soir de rentrer dans tous mes fonds. Vous ne voulez pas me vendre la lyre ?

hélène.

Mon Dieu, mon Dieu !

méphistophélès.

Vous y tenez, vous avez raison. Oh ! ne vous gênez pas, il y a ici de quoi me payer. Le mobilier est encore assez propre.

hélène.

Mais rien ici n’est à moi, vous n’avez pas le droit de saisir le mobilier de mon tuteur.