j’éprouve le charme de sa présence, sans analyser les qualités de sa personne.
Voilà qui est admirablement bien dit pour un philosophe ! et je ne vous aurais jamais cru susceptible…
Raille, raille-moi bien, mon bon Wilhelm ! c’est un animal si déplaisant et si disgracieux qu’un philosophe !
Oh ! mon cher maître, ne parlez pas ainsi… Moi, vous railler ! oh ! mon Dieu ! vous le meilleur et le plus grand parmi les plus grands et les meilleurs des hommes !… Mais si vous saviez combien je suis heureux que vous n’aimiez pas les femmes !… Si, par hasard, vous alliez vous trop apercevoir des graces d’Hélène, que deviendrais-je, moi, pauvre écolier sans barbe et sans cervelle, en concurrence avec un homme de votre mérite ?
Cher enfant, je ne ferai jamais concurrence à toi ni à personne. Je sais trop me rendre justice, j’ai passé l’âge de plaire et celui d’aimer.
Que dites-vous là, mon maître ! Vous avez à peine atteint la moitié de la durée moyenne de la vie ! Votre front, un peu dévasté par les veilles et l’étude, n’a pourtant pas une seule ride ; et quand le feu d’un noble enthousiasme vient animer vos yeux, nous baissons les nôtres, jeunes gens que nous sommes, comme à l’aspect d’un être supérieur à nous, comme à l’éclat d’un rayon céleste !
Ne dis pas cela, Wilhelm ; c’est m’affliger en vain. La grâce et le charme sont le partage exclusif de la jeunesse ; la beauté de l’âge mûr est un fruit d’automne qu’on laisse gâter sur la branche, parce que les fruits de l’été ont apaisé la soif… À vrai dire, Wilhelm, je n’ai point eu de jeunesse, et le fruit desséché tombera sans avoir attiré l’œil ou la main des passans.
On me l’avait dit, maître, et je ne pouvais le croire. Serait-il vrai, en effet, que vous n’eussiez jamais aimé ?
Il est trop vrai, mon ami. Mais tout regret serait vain et inutile aujourd’hui.