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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Barrot. En un mot, M. Barrot et ses amis resteraient au nombre de quatre-vingt-dix-sept ! Est-ce là une majorité à imposer des formes de gouvernement, et à représenter les opinions de la France ?

Il y a cependant un autre parti de gauche qui est sous la dépendance de celui-ci. Depuis un mois que les portes du ministère se sont ouvertes devant M. Thiers, M. Thiers n’a pu faire un pas sans soumettre ses démarches à M. Odilon Barrot ! On est parvenu à faire croire à l’esprit le plus vif et le plus pénétrant, que M. Odilon Barrot et les quatre-vingt-dix-sept disposent du gouvernement de la France, et peuvent en disposer librement, à la condition de ne pas y mettre la main ! Mais, encore une fois, que serait la réunion des amis de M. Barrot, le jour où leur chef aurait obtenu la présidence de la chambre, et où il soutiendrait le gouvernement. Un embarras pour le ministère qu’ils abandonneraient bien vite pour retrouver la popularité qui leur est indispensable. Et c’est pour de tels auxiliaires que des hommes modérés, des hommes de gouvernement, ont fait défaut aux combinaisons les plus propres à rasseoir à la fois la dignité et le repos du pays !

Avouons-le franchement, tout le monde a été trompé par les clameurs persévérantes de quelques journaux. On a tant répété chaque jour au pays, par mille voix différentes, qu’il est de la gauche, qu’il ne veut plus ce qu’il a voulu depuis huit ans, que le pays a fini par le croire un moment, et que la majorité elle-même ne s’est crue qu’une très petite minorité. C’est ainsi que M. Odilon Barrot s’est trouvé un instant maître des affaires, et directeur suprême de toutes les combinaisons. Mais l’erreur a duré assez long-temps. Les cris de détresse que jette la France, les nombreuses faillites enregistrées cette semaine à Paris, disent bien haut qu’il est temps de revenir à la réalité, et qu’il n’y a pas un moment à perdre. M. Thiers est un homme d’état, il comprend trop bien les nécessités des affaires pour ne pas chercher la force où elle est. Abusé comme les autres, il a subi l’influence de M. Odilon Barrot et de la gauche ; mais il a subi cette influence en homme de caractère et d’esprit, et tout en acceptant les conditions onéreuses de cette alliance, il a forcé ses alliés à modérer leurs vues. Dans peu de jours, la chambre se sera comptée ; l’on verra si la gauche, représentée par la réunion des quatre-vingt-dix-sept, est l’expression de la majorité électorale. M. Thiers attendra-t-il cette expérience pour être assuré que la prétendue majorité de la gauche n’existait que dans les journaux ? Attendra-t-il que le dépit de s’être trompé ait rendu à la gauche toute la violence de ses opinions, qu’elle s’efforce de modérer pour se mettre au ton et à la mesure convenables à une majorité ? Il serait bien tard pour reconnaître une vérité que M. Passy, que M. Dupin et d’autres avaient entrevue dès les premières conférences ministérielles ! Il serait bien tard, parce que le pays paie chaque jour d’erreur de nos hommes d’état par des jours de malheur et de souffrance, parce que l’Europe entière s’alarme avec la France, en voyant un gouvernement, qui tend à s’appuyer uniquement sur les capacités, suspendu et entravé si long-temps par des erreurs aussi patentes et aussi grossières. Il faut donc se hâter de mettre fin, non pas seulement à la crise ministérielle, mais à un état de