Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
REVUE DES DEUX MONDES.

fier dans ses froides eaux, puis, à demi nue, tremblante, traversera le champ de Mars sur ses genoux ensanglantés.

Rome est pleine de religions vagabondes qui viennent mendier dans ses rues. Voici les Galls, les prêtres de Cybèle, les cheveux épars, la voix enrouée ; leur chef, à la taille énorme, qui domine par ses hurlemens le bruit de leurs tambours, déchire ses membres à coups de couteau, fait recueillir son sang par ses fidèles, et leur en marque le front. Au bruit du sistre, voici venir d’autres mendians ; c’est le prêtre d’Isis, la tête rase, en robe de lin, Anubis à la tête de chien : « Un dieu est irrité, prenez garde. » Et le peuple les écoute avec une sainte terreur. « L’automne menace ; septembre est gros de malheurs ; prenez garde. Allez à Méroé chercher de l’eau, de l’eau du Nil. Versez-la sur les parvis du temple d’Isis ! Un cent d’œufs pour le pontife de Bellone ! vos vieilles robes pour le prêtre de la grande Isis ! Le malheur est suspendu par un fil sur votre tête. Vos tuniques pour les serviteurs de la grande Déesse ! Vous aurez paix et expiation une année entière[1]. »

Y aura-t-il jamais assez de devins pour promettre l’avenir à ce peuple qui abhorre le présent ? La science officielle de l’Étrurie est tombée en mépris ; les augures ne peuvent se regarder sans rire, leur secret s’est laissé voir à nu. Mais l’antique et savante Asie n’aura-t-elle pas à nous offrir des déceptions moins grossières ? Auspices arméniens, astrologues de Chaldée, augures de Phrygie, divinateurs de l’Inde, venez : expliquez au peuple romain ce rêve qui l’inquiète. Promettez-lui le testament de ce vieillard qu’il obsède de ses soins, et qui ne veut pas mourir. La foudre est tombée ici. Que signifie-t-elle ? Les lignes de ma main, que veulent-elles dire ? Chaque présage a son devin. L’incantateur n’est pas astrologue, le chiromancien n’a rien à faire avec les morts. On compte jusqu’à cent espèces de divinations différentes. Mais saluez surtout ce grand homme. Il est martyr de l’astrologie, la plus accréditée des sciences occultes, la plus persécutée par le pouvoir, qui la persécute parce qu’il y croit. Il a sur lui la marque des fers ; il a long-temps habité le rocher de Sériphe ; un général à qui il avait promis la victoire, vaincu, l’a tenu en prison ; César ne lui a pardonné qu’avec peine. Si vous êtes riche, attachez-le à votre maison. On a chez soi un valet astrologue, comme on a un valet cuisinier, un valet homme de lettres et un valet médecin. À tant

  1. Juvénal, Sat. 6. — Sénèque, De vità beatà, 27. — Tertullien, Apologet., 9.