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suis pas en état de remplir convenablement la mienne ; je ne m’ingère pas davantage dans les affaires des fiefs. » Il fit tout pour empêcher la prise de Constantinople par les Latins ; l’évènement une fois accompli, il en tira profit pour l’unité catholique avec une grande intelligence et une incorruptible équité. Dans Grégoire VII perce toujours le moine ardent et fanatique ; il y a du grand seigneur dans Innocent III ; son pontificat est pour la papauté ce que fut le règne de Louis XIV pour la monarchie. Innocent éprouva des contrariétés, mais pas de véritable revers ; il mourut avant de se brouiller au vif avec le roi de France, au sujet des affaires anglaises, avant d’avoir à lutter contre l’empereur Frédéric, dont il avait protégé en Sicile la royale enfance. Son règne fut long, sans l’être trop, et reste dans l’histoire comme l’expression la plus complète des prospérités catholiques.

De grandes résistances se préparaient contre la papauté, et la lutte entre le sacerdoce et l’empire recommençait douze ans après la mort d’Innocent III. Frédéric II, qui avait reçu d’Honorius III la couronne impériale, pouvait donner à Rome par sa puissance de sérieuses inquiétudes ; car il était maître de l’Allemagne, de la Lombardie, du royaume de Naples et de la Sicile. Il avait promis à Innocent III de restituer au saint-siége les terres allodiales de Mathilde, et il tint sa promesse. Il céda à son fils aîné le royaume de Naples, qui ne devait jamais, suivant une stipulation expresse, être incorporé aux domaines de l’empire. Rome avait en outre exigé qu’il se croiserait, et il l’avait promis. Comme il différait, le pape le somma de tenir son serment. Alors Frédéric épousa la fille du roi de Jérusalem, et annonça de formidables préparatifs. Mais sur ces entrefaites une querelle s’éleva entre lui et Honorius au sujet de l’élection des évêques dans le royaume de Sicile. De leur côté, les villes lombardes renouvelèrent leur ligue, et s’engagèrent à défendre leur liberté ainsi que l’indépendance de la cour de Rome. Par un édit solennel, Frédéric les déclara ennemies de l’empire. Cependant le moment était venu où il devait exécuter la promesse souvent réitérée d’aller en Palestine, et il se préparait à partir, quand il tomba malade à Otrante. Le successeur d’Honorius, Grégoire IX, ne veut pas croire à sa maladie et l’excommunie. L’empereur adresse à toute l’Europe son apologie, et se plaint des usurpations du saint-siége ; il rappelle les violences de Rome, qu’il nomme une marâtre, source de tous les maux. Entre le sacerdoce et l’empire, la guerre n’a jamais été plus vive ; on se croirait au temps d’Hildebrand et d’Henri IV. Grégoire IX réitère son excommunication ; Frédéric la méprise et envoie des troupes ra-