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LES CÉSARS.

allégorie orientale, saint Paul vient prêcher son Dieu crucifié, on le chasse aux cris de : Vive la grande Diane des Éphésiens !

Cela ne suffit pas encore à ces emportemens de la nature vers ce qui est au-dessus d’elle, vers la science de l’avenir, les relations surnaturelles, le monde d’au-delà, le monde de Dieu ; besoins de l’homme légitimes dans leur principe, mais plus insatiables et plus fous quand leur aliment est plus corrompu. Rome a besoin de cultes, de dieux ; elle les appelle tous. Des bouts de l’empire, toute folie vient aboutir à cet égout du monde, comme dit Tacite, à cet abrégé de toute superstition, comme un autre la nomme. « Dans le butin de chacune de ses conquêtes, elle a trouvé un dieu[1]. » Ç’a été même chez elle un principe politique ; elle a fait sa cour aux dieux pour gagner leurs peuples ; elle leur a payé leurs domaines en adorations[2]. Ainsi la religion des Grecs n’est plus distincte de la sienne ; ainsi la grande Déesse, une pierre noire, a été solennellement apportée de Bithynie par ordre du sénat ; ainsi un consul, il y a déjà long-temps, n’a pas trouvé un ouvrier pour démolir le temple des dieux d’Égypte. Ces dieux, « admis à la bourgeoisie[3], » ont un tout autre succès que les dieux surannés avec qui on a toujours vécu.

À qui Rome ne demandera-t-elle pas ces biens dont elle est si avide, la richesse, le plaisir ? Qui pourra calmer cette secrète terreur qui la poursuit ? Le ciel est irrité ; qui la réconciliera avec lui ? Car ce sentiment de terreur à la face d’un dieu irrité est caractéristique de la superstition ancienne, et elle en prend même son nom (δεισιδαιμονια, crainte des dieux). Qui lui donnera des prières, des adorations, des moyens de se purifier ? Sous le despotisme capricieux des Césars qui fait et défait un homme entre le matin et le soir, à qui ne demandera-t-on pas sûreté pour les siens, garde pour sa fortune, salut pour sa vie, que sais-je ? un de ces effrayans triomphes qui portent tout à coup un esclave au faîte des grandeurs ? Sur la terre, au ciel, dans les enfers, partout où peut se trouver un pouvoir plus exorable et moins insensé que celui de César, que ne fera-t-on pas pour se le concilier ! Dans les sanglantes cérémonies de Mithra, on ira se placer sous des barreaux de fer pour recevoir sur soi le sang de la victime. Une faible femme ira rompre les glaces du Tibre et se puri-

  1. Et spoliis sibimet nova numina fecit. (Prudence, Contrà Symmachum, II, 358.
  2. Sic dùm universarum gentium sacra suscipiunt regna etiam meruerunt. (Cœcilius apud Minutium.)
  3. Dii municipes.