Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

lie, en Allemagne ; les grands hommes paraissent et se multiplient ; on voit luire de ces grandes figures dans lesquelles l’humanité s’exprime et se glorifie ; les relations de l’Orient et de l’Occident, de l’islamisme et du christianisme, sont devenues plus intelligentes et plus utiles. Les chrétiens, en révérant Saladin, ont appris qu’il est d’autres vertus que celles inspirées par l’Évangile ; et Richard est devenu, pour le sectateur du Coran, le type du chevalier chrétien. Bientôt, à la suite de la religion, le commerce et la science trouveront dans ces rapports de précieux avantages. Tel est le point où est parvenue la société européenne au moment où Innocent III monte sur le trône pontifical.

La vie d’Innocent III est un sujet bien fait pour séduire un esprit qui se croit la vocation d’écrire l’histoire. Son importance n’est inférieure à aucune des biographies les plus illustres des temps anciens et modernes ; elle offre l’apogée du moyen-âge. L’auteur qui s’en est emparé, M. Frédéric Hurter, ne saurait être compté, sans doute, parmi ces hommes de premier ordre qui écrivent l’histoire avec une autorité souveraine, et qui sont la gloire d’une littérature, comme Bossuet, Gibbon, Jean de Muller ; mais au-dessous de ces hauteurs inaccessibles à la foule, il est encore de belles places. Si M. Hurter n’a pas le génie de l’histoire, il en a bien le goût, l’esprit et le culte. Il y a vingt ans qu’en parcourant la collection des lettres du pape Innocent III, il conçut l’idée d’écrire son histoire. Depuis, à travers les devoirs d’une vie active, il n’a jamais négligé de rassembler les matériaux de ce grand travail. Il nous raconte lui-même qu’il ne tarda pas à comprendre que la vie d’un tel homme, centre et souvent moteur de tous les évènemens de son siècle, ne pouvait être séparée de ses relations multipliées avec ses contemporains. La vie d’un pape au moyen-âge, dit fort bien M. Hurter, est un fragment de l’histoire universelle. D’ailleurs, la lecture attentive des écrits d’Innocent lui révéla combien la vie de ce pape s’était transformée dans celle de l’église, et alors la figure de l’homme dont il avait entrepris d’écrire l’histoire, lui apparut dans sa lumineuse splendeur. Voilà de l’enthousiasme naïf et sincère. M. Hurter a la passion de l’impartialité historique : protestant, président du consistoire du canton de Schaffhouse, il a historiquement, pour le catholicisme au moyen-âge, une admiration profonde ; nous disons historiquement, car il a soin de distinguer expressément la vérité de l’histoire de la vérité du dogme.

« Que la croyance qui faisait agir Innocent III, écrit M. Hurter, considérée en elle-même, soit vraie ou fausse, conforme ou non à la doctrine