la royauté, peut s’écrier dans son désespoir : Barrabas se sauve et Christ est mis à mort ! Alexandre III a déjà quelque chose de la cauteleuse prudence des papes du XVIe siècle. Entre Grégoire VII et Innocent III, il marque comme un point d’arrêt par sa modération avisée. Frédéric, au contraire, ne se meut que par d’impétueuses saillies ; il a tout l’orgueil de l’empire et toutes les passions de la race allemande ; c’est bien le successeur des Othon et le vengeur d’Henri IV ; il relève la couronne impériale, et la maintient du moins au niveau de la thiare, rétablissant ainsi l’image de cette république chrétienne qui devait avoir deux têtes. À une ardeur qui parfois ressemble à de la furie, il unit un mâle bon sens, et il sait transiger aussi bien que combattre : néanmoins chez lui l’héroïsme l’emporte. Aussi après avoir signé la paix de Constance, et puni la rébellion d’Henri Welf, duc de Bavière, il courut en Orient, le premier des princes chrétiens, à la nouvelle de la prise de Jérusalem par le sultan d’Égypte, entra sur les terres des Turcs, prit Iconium, traversa le mont Taurus, et se noya dans le fleuve Seleph qu’il voulut passer à cheval, terminant par une mort de soldat une vie de grand empereur.
À la fin du XIe siècle, c’était de son propre mouvement que la chrétienté s’était jetée sur l’Asie ; à la fin du XIIe, elle était contrainte d’y revenir, sous peine de forfaire à l’honneur. Saladin avait repris Jérusalem ; c’était un défi à toute la chevalerie de l’Europe. Aussi Frédéric Barberousse n’avait été que le précurseur des rois de France et d’Angleterre, Philippe-Auguste et Richard, tous deux avides de gloire, l’un politique plus habile, l’autre plus brillant chevalier, le premier plus grand en Europe, l’autre plus illustre en Syrie. Ptolémaïs ouvrit ses portes à l’armée des croisés qui représentait bien la chrétienté ; car tous les peuples s’y étaient donné rendez-vous, l’Allemand, le Français, l’Anglais, l’Italien ; le camp des chrétiens était comme une autre ville s’élevant en face de la ville infidèle, et comme une image de l’Europe.
Le XIIe siècle, qui terminait ainsi ses travaux par une sorte de décoration et de pompe militaire, nous offre de notables résultats. Les idées se débrouillent, les institutions se développent, les peuples se distinguent et les hommes s’affirment. Les rapports et les luttes de la religion et de la philosophie, ces deux points de vue d’une même vérité, s’établissent : Abailard et Bernard en ont la gloire. Le droit romain reparaît pour servir à la fois de pâture à l’esprit et d’instrument politique ; l’église commence à rédiger sa législation et son corpus juris canonici. Les libertés politiques s’organisent en France, en Ita-