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pour la première fois, en 1140, à la bataille de Winsberg, que se livrèrent, en Souabe, le duc de Bavière et l’empereur Conrad III, devinrent bientôt le cri de ralliement des champions acharnés de la suprématie de l’église et du pouvoir impérial. Le neveu et le successeur de Conrad, Frédéric Barberousse, ne voulut pas souscrire à l’indépendance italienne qu’il traita de révolte contre l’Allemagne et les droits de l’empire. L’année 1154 le vit entre Plaisance et Crémone, passant son armée en revue dans les plaines de Roncalia ; il se fit couronner roi de Lombardie à Pavie, et marcha sur Rome.

La ville des papes était alors dans une singulière anarchie : l’élève d’Abailard, Arnauld de Brescia, avait prêché, dans toute l’Italie, des principes nouveaux. Condamné par un concile à Latran, il s’était réfugié à Zurich, dont la position était telle, dit Jean de Muller, dans son Histoire de la Suisse, que chaque progrès de l’Allemagne et de l’Italie était un bonheur pour cette commerçante et religieuse cité. Arnauld de Brescia, dit encore l’historien[1], prêcha sa doctrine aux hommes de Zurich ; elle fut reçue par beaucoup de citadins et de campagnards : quelques-uns soutinrent leur opinion dans les diètes, et la transmirent à leurs petits-fils, avec une foi ferme contre laquelle vint échouer l’éloquence de saint Bernard. Pendant l’exil d’Arnauld, les Romains avaient établi un gouvernement républicain. Quand il fut de retour, il voulut ressusciter les formes politiques de l’antiquité, faisant un bizarre mélange des souvenirs de la république romaine et des traditions de la primitive église. Sa perte fut le gage d’une réconciliation entre le pape Adrien IV et Frédéric Barberousse. On le brûla vif, et ses cendres furent jetées au vent. Voici comment l’infortuné disciple d’Abailard a été dépeint par un contemporain, Otton de Freisingen, historien de Frédéric Barberousse, peu favorable aux opinions nouvelles : « C’était un homme d’un esprit, assez subtil ; toutefois son éloquence présentait plus de mots que d’idées. Aimant la singularité, il se précipitait avec ardeur dans les opinions nouvelles : c’était un de ces esprits merveilleusement propres à élever des hérésies, des schismes et des troubles. Quand, après avoir étudié, il repassa de France en Italie, il prit l’habit religieux pour mieux tromper la foule ; il se mit à tout censurer, à tout déchirer ; il n’épargna personne ; il se montrait le détracteur des clercs et des évêques, le persécuteur des moines ; il ne flattait que les laïcs. » Et qu’enseignait cet Arnauld, si sévèrement traité par

  1. Histoire de la Suisse, livre i, chap. XIV.