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SALON DE 1839.

myopisme pour lequel il n’y a point de lunettes. Le coloriste a besoin en outre d’une mémoire particulière ; car les effets qu’il veut retracer sont la plupart fugitifs, et souvent ce n’est qu’avec des moyens fort lents qu’on parvient à les imiter. De là, je crois, l’incorrection qu’on remarque dans le dessin de la plupart des coloristes : attentifs à l’effet, ils ne saisissent pas la forme. Remarquons encore que tous ont fait une étude particulière des procédés et des ressources matérielles de leur art. C’est à quoi ceux qui veulent les imiter ne sauraient apporter trop d’attention. Sentiment de l’harmonie, mémoire étonnante, habileté consommée dans le travail technique, M. Decamps possède tout cela. Maintenant, ses efforts doivent tendre à acquérir plus d’exactitude dans l’imitation. Il ne copie pas ou copie péniblement. Il se souvient trop, et se lie d’ailleurs souvent, je le crains, aux inspirations que lui fournissent des hasards heureux dans l’exécution. Il doit encore s’attacher à varier ses paysages. On y remarque trop souvent les mêmes effets de prédilection qu’il traite assez facilement aujourd’hui, pour qu’il n’éprouve pas le besoin de chercher des aspects nouveaux. Enfin il existe dans son talent une tendance trop prononcée à la caricature, qui lui fait voir et préférer le côté grotesque de chaque chose. Je voudrais qu’il s’appliquât à choisir ses modèles, qu’il se complût davantage dans le beau. Souvent il s’amuse à nous montrer des singes habillés en hommes, rendus, d’ailleurs, avec la verve la plus comique. Qu’arrive-t-il ? Ce type du singe le poursuit quand il peint des hommes, et l’on sent qu’il a grand’peine à s’en défaire. Comme bien d’autres badauds, j’ai fait un tour en Orient, et j’ai vu de près les personnages et les mœurs qu’il affectionne. Les grosses têtes des musulmans, leurs jambes grêles, arquées, sans mollets, leurs haillons souvent ridicules, tout cela s’est gravé parfaitement dans la mémoire de M. Decamps. Tous ces Turcs qu’il nous donne, je les ai vus : ils sont croqués d’après nature. Mais pourquoi n’a-t-il pas retenu aussi les formes herculéennes des bateliers de Constantinople ou du Caire, la tournure martiale des Arnautes, les costumes splendides des riches Asiatiques, les draperies si pittoresques des Bédouins ? Malheureusement il n’est que trop commun de ne voir qu’un seul aspect de chaque chose, et il est bien difficile de réformer sa nature. Espérons toutefois. Déjà la plupart des sujets choisis par M. Decamps annoncent une tentative pour se corriger de sa tendance au grotesque. Je souhaite de tout mon cœur qu’il y renonce complètement.

Puisque j’ai parlé de singes, disons un mot d’un petit tableau no 504, dont le succès pourra bien nuire aux conseils que m’inspire