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LES CHEMINS DE FER, L’ÉTAT, LES COMPAGNIES.

peut-elle être assimilée à celle de l’Amérique, de l’Angleterre ou de la Belgique, pour qu’on vienne si rigoureusement nous tailler notre besogne de chemins de fer sur le double patron adopté par ces trois peuples travailleurs, et cela sans introduire aucune modification dans le système qu’on emprunte à l’étranger pour l’appliquer à la France

Il y aurait d’abord à répondre que, si l’un de ces peuples avait assez de ressemblance avec nous pour mériter d’être copié servilement dans les procédés qu’il a suivis, par cela même, l’assimilation complète serait impossible entre la France et ces trois modèles, si dissemblables entre eux. C’est pourtant ce résultat, qui impliquait une contradiction frappante, qu’on semble avoir voulu réaliser par l’imitation des deux méthodes contraires adoptées, en Belgique d’une part, aux États-Unis et en Angleterre de l’autre, pour les voies et moyens des chemins de fer. Mais si l’on veut examiner de plus près, et l’un après l’autre, ces trois peuples par lesquels nous avons été précédés dans la carrière des travaux merveilleux qui assurent la circulation rapide, on est frappé des différences essentielles qui existent entre nous et chacun d’eux, sous ces divers rapports dont il faut tenir un compte sérieux : la richesse relative, l’étendue des territoires, la concentration des populations, l’habitude des déplacemens, et les nécessités enfin de commerce, de colonisation ou de politique à satisfaire au moyen d’une locomotion rapide.

Pour commencer par l’Angleterre, est-il étonnant qu’elle trouve, dans l’association des capitaux particuliers, les ressources exigées pour un grand réseau de chemins, tandis que cette force, si efficace chez elle, reste impuissante ailleurs, et particulièrement dans notre pays ? L’Angleterre proprement dite, y compris le pays de Galles, c’est-à-dire les seules parties des îles Britanniques qu’on ait à prendre pour terme de comparaison, quand il s’agit de chemins de fer, présentent une superficie de neuf mille neuf cent vingt-une lieues carrées. On en compte trente-quatre mille cinq cent douze pour la France. Par là, on peut juger déjà combien il a été plus facile pour nos voisins que pour nous de se tracer un ensemble de rail-ways et de l’exécuter. De Londres à Liverpool, aujourd’hui, sur une suite de rail-ways entièrement achevée, il y a un parcours à peu près équivalent à celui qui doit résulter de notre tracé des Plateaux avec ses principaux embranchemens projetés. Mais de Londres à Liverpool, c’est une jonction complète entre les deux mers qui baignent à l’est et à l’ouest la plus puissante île de l’univers. Le moindre chemin qui s’embran-