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fait avec succès et promptitude par l’état lui-même dans un pays voisin, la Belgique, qui a bien plus d’affinités de tout genre avec la France. Mais, dans les deux camps, à force d’observer et de citer les expériences étrangères, on en était venu à négliger un peu trop l’observation de notre propre pays. Si l’on s’était donné ce soin, on aurait abouti peut-être à l’idée d’un système mixte, où la puissance du gouvernement et les ressources de la spéculation se seraient trouvées combinées, autrement et mieux qu’elles ne l’ont été jusqu’ici, pour marcher de concert vers un but commun. Il est vrai qu’on a imaginé, il y a un an, une sorte de système mixte, qui consistait à partager entre l’état et les compagnies, par égales moitiés, tous les chemins de fer susceptibles d’être classés dans la catégorie des grandes lignes. Malheureusement, comme nous l’avons déjà dit ailleurs[1], ce n’était pas là le meilleur moyen de faire concourir ensemble l’association publique et les diverses associations privées dont on espérait alors quelque secours efficace. C’était créer entre les deux forces, qu’on prétendait utiliser à côté l’une de l’autre, non pas une émulation salutaire, mais une rivalité discordante qui aurait laissé chacune d’elles avec ses défauts propres, sans aucun contre-poids. En effet, d’après les bases indiquées pour ce concours anarchique des deux modes d’exécution, chaque ligne, exclusivement livrée à un seul système, en aurait supporté tous les inconvéniens reconnus, parfois même toutes les impossibilités, comme on le voit déjà aujourd’hui, et n’aurait joui nullement des compensations offertes par l’autre système. Autant valait proclamer à la fois ces deux affirmations contradictoires : que la France est dans les mêmes conditions que les États-Unis et l’Angleterre, où l’industrie privée est seule chargée de l’exécution, et que la Belgique, où le gouvernement a été jugé le plus habile, le plus sûr entrepreneur, et même le seul possible. En vérité, on ne faisait pas une chose plus étrange, en coupant notre pays en deux parts, pour en livrer une à la théorie de l’industrialisme, avec plein pouvoir d’y faire régner exclusivement ses principes dans toute leur pureté, et l’autre au corps des ponts et chaussées, investi d’un droit égal, non moins pur de tout alliage, non moins absolu, sur cette espèce de domaine régalien.

Quelle est donc la valeur réelle et pratique des exemples ainsi recueillis à l’étranger, et jusqu’à quel point la situation de notre pays

  1. Voir la Revue de Paris du 4 novembre dernier, article sur la Situation des Compagnies de Chemin de Fer.