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Mozart, et comme elle chante cette musique ! c’est à ne pas la reconnaître. Cet air non so più cosa son, cet irrésistible motif, si rempli de feu, d’ivresse et de délire, ce transport du cœur et des sens, qui ferait tressaillir le marbre, la laisse inanimée et froide. Ne pas sentir dans le fond de son être de pareilles beautés, exprimer de la sorte une telle musique, lorsqu’on ose y toucher ! mais il faut pour cela ne pas avoir de sang dans les veines, de voix dans la poitrine ; il faut ne jamais avoir eu quinze ans. Pourquoi Mme Albertazzi n’a-t-elle pas cédé la romance du second acte à la comtesse ? Au moins la Persiani nous eût dit quelque chose de cette élégie harmonieuse, de cette plainte ineffable dont on ne se lassera jamais de respirer la grace voluptueuse et la mélancolie enfantine. Vraiment il faut renoncer à voir jamais cette création de Mozart se produire dignement sur la scène. Ou la cantatrice est insuffisante et médiocre, comme cela se rencontre aujourd’hui, ou, dans le cas contraire, elle dédaigne le texte si simple et si pur, et ne manque jamais de l’enrichir de tous les trésors de sa vocalisation capricieuse. Il faudrait pour Chérubin la voix de la Sontag, le feu de la Malibran, tout cela réuni dans un talent modeste et généreux, qui voulût bien se résigner à se soumettre une fois, sans arrière-pensée, au génie de Mozart ; terribles conditions, auxquelles on doit désespérer de satisfaire jamais entièrement. En effet, vous trouverez la voix de la Sontag, le feu de la Malibran, mais une cantatrice qui, se sentant, douée de la sorte, ne foulera pas Mozart sous ses pieds, celle-là, vous ne la rencontrerez jamais. Aussi, quoi qu’on fasse, on ne peut avoir sur la scène qu’un pâle reflet de cette création ; l’idéal enfant, le Chérubin d’amour restera toujours bien loin de nous, dans la sphère où Mozart l’a trouvé, où les intelligences éprises de poésie et de musique peuvent seules le contempler à loisir.

Pour moi, rien ne me semble plus triste que ces représentations où des chanteurs dont on ne saurait contester la renommée et le talent font défaut aux plus nobles conceptions du génie. Il faut, certes, que cette musique de Mozart soit bien imposante, pour que ces chanteurs italiens, si grands lorsqu’il s’agit des œuvres contemporaines, s’amoindrissent de la sorte vis-à-vis d’elle. Demain reviendront les Puritains ou Parisina, et vous verrez qu’ils retrouveront toute leur verve et leur expression pour ces phrases d’un jour. Dans les arts, tout est harmonieux : la musique, les chanteurs, le public, tout cela s’épanouit en même temps ; puis de nouveaux interprètes reviennent pour de nouvelles idées, et le public se transforme. Le goût change, le dilettantisme varie, mais l’admiration sincère et profonde que l’on doit aux chefs-d’œuvre ne saurait s’altérer Que serait la pensée, que serait le génie, s’ils pouvaient dépendre des caprices du temps ou de la mode ? que serait le soleil, s’il allait s’oublier pour ces petites vapeurs empourprées qui flottent devant lui et que ses rayons illuminent, lorsqu’elles semblent le voiler ?


H. W.

V. de Mars.