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blimes, et de ces radieux talens dont la personnalité veut tout envahir. Les chanteurs italiens ne sont pas pour faire valoir un chef-d’œuvre ; tout au contraire, un chef-d’œuvre doit s’estimer fort heureux lorsqu’il leur a donné l’occasion de se produire avec avantage ! Rien ne leur semblerait plus ridicule que de se soumettre à l’inspiration d’un musicien tel que Mozart et Beethoven. Étranges prétentions qui leur viennent avec la voix, avec le talent, avec le premier rayon de gloire qui leur tombe sur le front ! J’ai vu la Malibran, un soir qu’elle entendait pour la première fois l’Euryanthe de Weber au théâtre allemand, trouver cette musique pitoyable, et s’étonner qu’on pût se résigner à chanter de pareilles extravagances. Le grand crime de Weber, aux yeux de la Malibran, c’était d’avoir écrit une musique imposante et profonde où tout est prévu, réglé d’avance, combiné de telle sorte, qu’il ne reste rien à faire aux caprices de la prima donna. Voilà sans doute aussi pour quels motifs les opéras de Mozart déplaisent tant à Giulia Grisi. On sait combien l’aimable cantatrice de Bellini et de Donizetti se sent de pitié pour cette pauvre musique de Don Juan ; il suffit de la voir et de l’entendre dans Suzanne pour se convaincre que Mozart n’a pas mieux réussi auprès d’elle avec sa partition des Noces de Figaro. La Grisi chante tous ces petits airs du bout des lèvres ; on dirait qu’elle fait la moue à cette adorable musique.

La Persiani manque de largeur et d’élévation dans le rôle de la comtesse ; son talent, gracieux et pur dans l’Elisir d’Amore et la Sonnambula, ne suffit point à cette musique : l’agilité la plus rare et la plus merveilleuse ne saurait tenir lieu du sentiment et de l’expression. Le rôle de Figaro ne convient guère à Lablache ; la taille colossale et la voix tonnante du sublime basso ne peut nullement s’accommoder des manières agiles et souples de ce personnage qui allait si bien à Pellegrini. Mais avec Lablache on n’est jamais en peine ; celui-là du moins a l’intelligence des beautés qu’il veut rendre. Lablache aime et comprend Mozart, comme il aime et comprend Cimarosa ; s’il réussit moins dans les Noces de Figaro que dans le Mariage secret, cela tient à sa nature plus portée vers le bouffe que vers le fin comique. Mais on voit qu’il prend part à l’action ; son œil pétille, sa voix s’élance brusque et rauque parfois, mais toujours pleine d’enthousiasme, et ce soin, cette ardeur, ce zèle intelligent et sincère que Lablache met dans tout son rôle, rachètent à mon sens bien des petits défauts. Tamburini a dans sa nature un fonds de bonhomie, de paisible indifférence, d’humeur bourgeoise, qui s’oppose à ce qu’il s’élève jamais à la hauteur des créations de Mozart : tel vous avez vu Tamburini dans Don Juan, tel vous le retrouvez dans le comte Almaviva. Il faut des aigles comme Garcia pour se mouvoir dans l’élément sublime de cette musique ; lui y rampe. Sa voix agile, gracieuse, mais parfaitement monotone, ne saurait atteindre les effets dramatiques de ce rôle du comte, si grandiose, si beau, si passionné ; mais au moins aurait-elle pu les indiquer : elle ne l’a même pas essayé, et nous nous abstiendrons d’en dire plus. On serait mal venu à demander à un chanteur d’exprimer ce qu’il ne comprend pas. Mme Albertazzi est un singulier Chérubin ; on ne peut imaginer quel amoureux ridicule et transi elle a fait de l’adorable enfant de