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Ôtez cet air et cette romance, vous aurez sans doute encore un page coquet, ingénieux, frivole ; mais le petit héros que vous savez, le Cherubino d’amore, l’espiègle à la fois cousin d’Ariel et de Roméo, et dont Shakspeare envierait la création à Mozart, où le trouverez-vous désormais ? Et Suzanne, la camériste enjouée, aimable, insinuante comme une chatte, Suzanne un peu sœur de Zerline, et la comtesse sentimentale comme une grande dame autrichienne, et le comte, que chacun dupe dans la comédie, si fier, si vaillant et si noble en ses élans de colère et ses transports de jalousie ; tout cela vient de Mozart, dont le génie a su donner à la pièce de Beaumarchais les passions et la vie de l’épopée.

On a souvent reproché à cette musique de manquer d’entrain et de verve comique. Singulière opinion ! comme si Mozart avait prétendu faire un opéra bouffe. Du reste, pour se convaincre du peu de fondement d’une pareille critique, il suffit d’examiner un instant le sujet dont il s’est inspiré. Est-ce donc une chose si plaisante que la pièce de Beaumarchais ? Est-ce un personnage bien curieux, bien extravagant, bien risible, que ce comte dévoré de jalousie et d’ennuis, partagé entre sa femme qu’il soupçonne, et la fiancée d’un Figaro qu’il convoite ? et cet amoureux de seize ans, qui saute de joie parce que le ciel est bleu, l’eau transparente et l’air du soir frais à respirer ; et cette comtesse, dédaignée, qui se venge de l’abandon où son époux la laisse, en regardant du coin de l’œil le petit page, trouvez-vous que ce sont là des caractères de la famille de Geronimo, de Fidalma ou de Campanone ? Vraiment il y a des gens qui pensent que là où la tragédie n’est point il faut nécessairement rire aux éclats, des gens qui ne veulent que des fioles de poison, des grincemens de dents, ou des perruques extravagantes et des habits de perroquet, comme Lablache s’en compose dans certains rôles ; mais il n’existe pas au monde que des contraires : le cœur humain a ses nuances comme les couleurs, ses vaporeuses demi-teintes, ses fantaisies, ses reflets qui ne sont ni trop vifs, ni trop sombres, et qui plaisent tant aux paupières délicates. Entre le Maure de Venise et George Dandin, il y a le comte Almaviva.

Mozart n’est point un génie comique ; nature élégiaque et tendre, sa gaieté ne va jamais au-delà d’un sourire ineffable qui n’exclut pas les larmes ; des sources vives de l’inspiration, il ne puise que le flot le plus pur et le plus limpide, car s’il a dans les veines quelque chose de cette ardeur méridionale, de ce sensualisme napolitain qui distingue en Allemagne le génie autrichien, il n’échappe pas à l’influence vaporeuse et mélancolique du pays de Beethoven et de Novalis. Quel que soit le genre auquel il s’applique, Mozart n’en sait prendre que la fleur la plus suave et la plus pure : il faut dire aussi que le bouffe n’est pas un élément où l’art des sons puisse toujours se maintenir. Le musicien qui s’inspire d’une perruque est un pauvre homme qu’on oublie au plus vite, pour ne se souvenir que de l’acteur qui donne la vie à sa pièce. Demandez l’auteur de la Prova, on vous dira Lablache ; qui connaît aujourd’hui Gnecco ? Pour Cimarosa, c’est une autre affaire, il n’emploie le bouffe que comme un infaillible moyen de contraste, il entre de plain-pied dans le grotesque, mais pour en sortir à tout instant par de mélodieuses échappées ;