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prendre, sur les bancs de la chambre, sa place de 1831. M. Dupin annonce que cette détermination lui est dictée par la gravité des circonstances. D’après ces circonstances, on voit, et nous le disons à regret, que la crise ministérielle n’est pas encore arrivée à son dénouement.



REVUE MUSICALE.
THÉÂTRE-ITALIEN. — LE NOZZE DI FIGARO.

Il se rencontre dans la famille des mortels privilégiés à qui le ciel a départi un rayon de la flamme créatrice, çà et là, trois génies qu’un irrésistible instinct porte incessamment vers l’élévation et l’idéal, et dont la nature choisie et noble entre toutes ne se dément jamais. Le musicien de cette trinité merveilleuse est Mozart ; s’il s’agissait ici de poésie ou de peinture, on sait bien qui je nommerais. Mozart me semble une gloire placée au-dessus de toutes les autres, dans un éther plus pur, dans une plus sereine clarté, quelque chose qui n’appartient ni au temps, ni à la critique, comme tout ce qui vient des hommes, mais au culte, à l’admiration éternelle, comme l’idée qui se révèle d’en haut. Si Beethoven, Weber, Cimarosa, Paisiello et Rossini sont des rois dans la hiérarchie, Mozart, lui, est un ange. En effet, jamais il ne manque un seul instant à sa vocation divine ; toute mélodie qui sort de ses lèvres est de flamme ; s’il touche à la réalité, la réalité se transforme et s’incarne aussitôt dans la plus radieuse poésie. On peut dire de lui qu’il se meut dans le sublime comme en son élément naturel ; quelle que soit l’œuvre où il s’applique, Idoménée, la Flûte enchantée, Don Juan, les Noces de Figaro, jamais son génie ne descend des hauteurs qu’il habite. Si l’idéal est dans le sujet, il n’y fait pas défaut, comme on pense bien, sinon il élève le sujet jusqu’à l’idéal. Ainsi, à Chérubin, à Suzanne, à Figaro, à toutes ces créations de la prose et de l’esprit, il donne la vie poétique dans une étincelle de cette flamme qui baigne sa main et va le consumant.

Nulle part cet invincible instinct qui entraîne Mozart vers le sublime ne se laisse plus vivement sentir que dans la partition des Noces de Figaro. On ne peut en effet imaginer quelles ressources profondes il fallait avoir en soi pour dompter un sujet semblable, et creuser ce terrain jusqu’à la musique. Vous figurez-vous un musicien vulgaire aux prises avec ce dialogue si mordant, si froidement amer, si hérissé de toutes parts, aux prises avec les petites passions de cette intrigue de château qui se noue et se dénoue à force d’esprit, d’artifices et de subtilités. Il n’y avait que deux manières de s’en tirer : écrire une musique tout en dehors du poème, ne se préoccuper ni du sujet, ni de l’action, tailler çà et là des cavatines et des duos, et faire comme font les Italiens, qui pensent au chanteur plus qu’au personnage, à Lablache plus qu’à Figaro, à la Grisi plus qu’à Suzanne ; ou bien aborder franchement le sujet, le retourner en tous sens, l’élever, le transformer, le créer de nouveau,