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sur les plaisirs et les dangers du monde. La première entrevue d’Yves et de Gabrielle, en présence de Mme Rémond et de la marquise de Fontenay, est racontée habilement ; mais je reprocherai au récit de cette entrevue une vérité trop officielle. On voit trop clairement que Mme Ancelot tient à dessiner ses personnages ; quoique les acteurs ne posent pas, on voudrait les voir vivre et parler plus naturellement, et ne pas s’attacher à dire ce qui doit achever de nous les faire connaître. Le procédé successif employé par l’auteur dans la composition de son roman rendait cet inconvénient à peu près inévitable. Son livre n’étant pas conçu d’un seul jet, il était bien difficile que les détails ne fussent pas exagérés, et c’est, en effet, ce qui arrive. Le repas de noces, et les plaisanteries grivoises de Mme Rémond ont le même défaut que la première entrevue, et ce défaut doit être attribué à la même cause. Le véritable sujet du livre n’est pas dans l’opposition de la marquise de Fontenay et de Mme Rémond, de l’élégance aristocratique et de la gaieté bourgeoise ; si l’auteur juge à propos d’admettre ce contraste parmi les élémens de son tableau, il ne doit pas oublier un seul instant le rang qui appartient à ce détail secondaire. Mme Ancelot, en nous racontant le repas de noces, a exagéré l’importance et le ridicule de la grosse gaieté, et, sans amener le rire sur les lèvres, elle retarde le début de l’action principale.

La scène qui termine la journée était certainement la plus difficile de l’ouvrage, et nous devons tenir compte de cette circonstance pour juger la manière dont Mme Ancelot l’a traitée. Il fallait pour la rendre une rare délicatesse ; la hardiesse poussée trop loin pouvait devenir dangereuse. L’auteur n’a pas franchi les limites que le goût lui traçait, mais il n’a évité le péril qu’il avait aperçu qu’en se jetant dans le mélodrame. La scène où Gabrielle fait comprendre au duc de Mauléon le néant des droits que la loi et l’église lui donnent sur elle, est racontée par Mme Ancelot d’une façon vulgaire. Gabrielle, nous sommes forcé de le dire, n’est ni chaste, ni impudique, ni fière, ni indignée ; elle se drape, elle se pose en héroïne, elle se défend avant d’être attaquée, et lorsque Yves de Mauléon quitte la chambre de sa femme, nous le voyons partir comme nous l’avons vu entrer, sans émotion. La difficulté était grande, je le reconnais ; n’espérant pas la vaincre, Mme Ancelot l’a éludée. La vie des deux époux, pendant les six mois qui précèdent leur réconciliation, n’offrait pas les mêmes écueils ; aussi cette partie est-elle la meilleure de l’ouvrage. Cependant je reprocherai à Mme Ancelot d’avoir rempli le chapitre des visites de noces, de portraits trop nombreux, et surtout d’avoir mis en scène très inutilement l’historien des Stuarts et l’auteur de René, qui, sans doute, ne prévoyaient pas cette épreuve. Que la marquise de Fontenay-Mareuil mette sous les yeux de Gabrielle le tableau de la révolution anglaise, les souffrances d’Amélie et de René, rien de mieux ; mais je ne comprends pas qu’elle se croie obligée de mener sa belle-fille rue de la Ville-l’Évêque, rue d’Enfer, à l’Abbaye-aux-Bois, pour compléter son éducation. C’est une puérilité qui touche à la niaiserie. Gabrielle se montre dis-