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REVUE LITTÉRAIRE.

Madame Rémond, qui sous une plume plus habile aurait pris sans doute une véritable valeur comique, est devenue, sous la plume de Mme Ancelot, une figure très vulgaire, une caricature digne de M. Paul de Kock. Il y a sans doute dans Mme Rémond un fonds de vérité, mais cette vérité est présentée d’une façon si triviale, chaque détail est retracé avec si peu de choix, avec une fidélité si brutale, que le rire fait bientôt place à la répugnance. Ce personnage, avec sa grosse gaieté, sa franche tendresse, déride rarement le lecteur, et ne l’émeut presque jamais. Il paraît cependant réunir toutes les conditions nécessaires pour produire cette double impression ; mais on rencontre à chaque page des détails de toilette qui détruisent l’effet produit par la tendresse et la gaieté de Mme Rémond. Il est possible que ces détails soient pleins de vérité, mais pour les bien juger il faudrait prendre l’avis d’une lingère, d’une couturière et d’une modiste ; l’étude attentive de la bourgeoisie enrichie ne saurait suffire. Quant à moi, je me récuse. En traçant le portrait de la marquise, Mme Ancelot a eu le tort d’insister trop souvent sur l’aspect de la vie élégante ; en dessinant Mme Rémond, elle a le tort non moins grave de nous signaler les ridicules de ce dernier personnage, comme pourrait le faire une femme habituée à tailler des guimpes, à monter des collerettes : c’est ce que j’appellerai une vérité trop vraie. Toutes ces données, dont je ne veux pas contester la valeur absolue, impriment au caractère de Mme Rémond une trivialité indigne du roman. Les rubans, le châle et le chapeau que lui prête Mme Ancelot seraient peut-être applaudis sur un théâtre de boulevard, mais dans un livre ils me paraissent déplacés. Je dois, pour être juste, ajouter que Mme Rémond, à son lit de mort, ne manque ni de grandeur, ni de dignité. Tant que sa vanité seule était en scène, elle était plus puérile que comique ; les caresses qu’elle prodiguait à sa fille, tout en attestant la bonté de son cœur, ne réussissaient pas à nous attendrir. À ses derniers momens, lorsqu’elle jette un regard inquiet sur la destinée de sa fille, lorsqu’elle se reproche d’avoir joué le bonheur de Gabrielle pour satisfaire sa vanité, elle trouve des accens vrais, des paroles qui nous émeuvent profondément. Le dirai-je cependant ? les derniers momens de Mme Rémond produiraient un effet plus sûr, s’ils étaient racontés plus simplement. Le désir de montrer, en toute occasion, la connaissance complète de son modèle, entraîne Mme Ancelot au-delà des traits strictement nécessaires, et gâte parfois les lignes les plus heureuses, les contours les plus habiles ; avec moins d’efforts, elle nous eût offert un tableau plus clair et plus pathétique.

Gabrielle est dessinée avec moins de bonheur et d’habileté que sa mère. Elle ne pèche pas par la trivialité, comme Mme Rémond ; mais, malgré le rôle important qui lui est confié, elle n’a rien de précis, rien qui la distingue nettement de toutes les filles de son âge placées dans une condition différente. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de trouver dans Gabrielle le type d’une jeune fille élevée loin des salons, ignorante et sauvage. Mme Ancelot nous parle souvent du caractère de Gabrielle ; il