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partagée entre l’avenir d’un fils et la crainte de déroger, des traits pleins de finesse. Je ne lui ferai qu’un reproche, c’est d’insister sur la physionomie de la vie aristocratique avec un soin trop minutieux. Pour l’intelligence complète de ce reproche, je la renvoie aux romans de Mme de Souza. En relisant Eugène de Rothelin, elle verra que l’aristocratie n’appelle jamais l’attention sur le prix des choses qu’elle croit nécessaires. Elle ne conçoit pas la vie sans équipages, sans château ; en révélant le prix d’un cheval, d’un harnais, elle manque à ses habitudes, elle cesse d’être elle-même. À part cette objection que je crois fondée, le personnage de la marquise me semble une création très heureuse. Le comte de Rhinville, placé près de la marquise, quoique tracé avec moins de précision, n’est cependant pas sans valeur. Son égoïsme est plein de vérité. Quant au duc Yves de Mauléon, petit-fils de la marquise de Fontenay-Mareuil, j’avoue humblement qu’il faudrait, pour le juger d’une façon complète, savoir bien des choses que j’ignore, et que, sans doute, j’ignorerai toujours. Le jeune duc est membre du club des jockeys ; or je n’ai jamais pénétré dans le club des jockeys, et je ne possède pas le plus mince renseignement sur les mœurs de ce monde exclusif. Il m’est donc impossible de décider si Mme Ancelot a peint fidèlement ou infidèlement les habitudes et les principes de ce club célèbre. J’avoue franchement mon incompétence, et je me contente de résumer en peu de mots les profits qu’Yves de Mauléon a retirés de son affiliation au club des jockeys : il a mangé, en quatre ans, quatre cent mille francs, c’est-à-dire son patrimoine entier. C’est une bagatelle, sans doute, pour le descendant d’une illustre famille ; mais je crois cependant que le jeune duc ne tiendrait pas une seconde fois la gageure, et que, s’il pouvait revenir à la première année de sa majorité, il ne se promettrait plus de dévorer en quatre ans le dernier débris de la fortune de sa famille. Car, grace à cette promesse imprudente, trop fidèlement tenue, il se trouve, à vingt-six ans, sans ressources pour persévérer dans l’oisiveté, sans talens qui puissent lui donner un rang dans le monde, et, qui pis est, sans l’énergie nécessaire pour apprendre ce qui lui manque, inutile au monde, inutile à lui-même, placé, par conséquent, au dernier rang de la société. C’est, à coup sûr, une triste condition, et je crois que le duc de Mauléon souhaiterait de grand cœur que toutes ses folies fussent encore en projet. Tel qu’il est cependant, ruiné, dépravé par l’oisiveté, inhabile à tous les genres de travail, le duc de Mauléon ne manque ni de clairvoyance, ni de fierté. Il mesure d’un œil sûr toute la profondeur de l’abîme où il est tombé, il interroge sans effroi la pauvreté qu’il s’est faite, et avant de se résigner à l’alliance que sa grand’mère lui propose, son orgueil se révolte plus d’une fois. Mais sa résistance n’est ni assez longue, ni assez vigoureuse pour le réhabiliter. Il cède trop vite, il embrasse trop facilement le parti qui d’abord lui semblait indigne de lui. Après avoir calculé la honte, la lâcheté d’une mésalliance, il se presse trop de signer ce qu’il appelait la veille son déshonneur. Aussi je n’hésite pas à considérer le duc de Mauléon comme un personnage inférieur à la marquise de Fontenay-Mareuil.