et reçoit de l’acteur une seconde vie. C’est pourquoi Gabrielle, quoique pourvue de toutes les qualités qui distinguent Marie, n’aura certainement ni la même popularité, ni la même durée. S’il fallait en croire l’amitié complaisante, Gabrielle serait un chef-d’œuvre du premier ordre ; il serait à peine permis d’en discuter la conception et le style. Nous ignorons si Mme Ancelot prend au sérieux l’emphase de ces éloges, mais il nous semble que la critique se doit à elle-même de protester de toutes ses forces contre cette indulgence exagérée. À Dieu ne plaise que nous considérions la littérature dramatique comme un genre qui peut se passer de style, une hérésie si monstrueuse n’a pas besoin de réfutation ; toutefois il est certain que le style d’un livre doit être jugé plus sévèrement que le style d’une pièce de théâtre. Pourquoi ? Parce qu’un livre ne peut se recommander que par son seul mérite, tandis qu’une pièce de théâtre se recommande à la fois par son mérite et par celui de l’acteur.
Les personnages de Gabrielle se divisent en trois groupes, la famille d’Yves de Mauléon, la famille de Gabrielle, et la famille d’Ellénore. La grand’mère d’Yves de Mauléon, la marquise de Fontenay-Mareuil, est, à notre avis, la meilleure figure du livre ; Mme Ancelot a réuni, dans le dessin de cette figure, tout ce qu’elle sait du monde qui s’en va. Il y a, dans le caractère de la marquise, un mélange d’orgueil et de bonhomie qui charmera, nous en sommes sûr, les adversaires les plus entêtés de l’aristocratie. Il s’en faut de beaucoup cependant que ce personnage puisse entrer en comparaison avec les personnages du même genre créés par Mme de Souza. Il n’y a rien, dans la marquise de Fontenay-Mareuil, qui rappelle la grace exquise, le ton excellent d’Eugène de Rothelin, d’Adèle de Sénanges, de la Comtesse de Fargy. Toutefois, il y aurait de l’injustice à méconnaître, dans la grand’mère d’Yves de Mauléon, une dignité, une élégance, une sagacité qui font honneur à Mme Ancelot. Et quoique Gabrielle ne soit certainement pas supérieur à Marie, je crois pouvoir affirmer que Marie n’offre aucun personnage comparable, pour la vérité, à la marquise de Fontenay-Mareuil. Tout en regrettant le passé, tout en professant pour les principes de la société nouvelle un dédain obstiné, la vieille marquise ne se croit pas dispensée de réfléchir sur les causes des changemens dont elle est témoin. Si la réflexion ne réussit pas à la réconcilier avec le présent, elle la dispose du moins à l’indulgence. Elle ne dissipe pas ses regrets ; mais en lui montrant les côtés faibles de la société nouvelle, elle l’affermit dans la résignation. Si l’aristocratie est perdue sans retour avec la monarchie absolue, il reste une consolation à l’aristocratie, c’est de spéculer sur la vanité de la bourgeoisie enrichie ; consolation inoffensive qui ne va pas jusqu’à l’oubli du passé, mais qui suffit aux esprits calmes, aux cœurs tièdes, et dont la marquise tire bon parti. Que faire d’un nom sans richesse ? Chercher une famille qui soit en quête d’un nom, à qui les plaisirs de la richesse ne suffisent pas, qui veuille se donner un blason ; faire alliance avec les hommes nouveaux, avec les parvenus. C’est, en effet, le parti auquel s’arrête la marquise. Mme Ancelot a trouvé, pour peindre les combats intérieurs de cette ame