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HISTOIRE DE FRANCE.

il organisait la révolte ; que dans l’Italie, il gagnât l’alliance du duché de Mantoue, en assurant son existence ; qu’il forçât l’alliance de la Savoie, en traitant ses ministres comme des seigneurs français, et en jetant dans les prisons de Miolans et de Vincennes les partisans de l’Espagne. Il fallut que, contre la branche allemande, il relevât, il ressuscitât l’union évangélique, deux fois tombée mourante dans les champs de Prague et de Lutter ; qu’il tirât Gustave-Adolphe des glaces du Nord et des embarras d’une guerre avec la Pologne pour le précipiter sur la puissance autrichienne ; qu’il remplaçât Gustave mort par Bernard de Saxe-Weimar, et qu’il unît la Hesse à la Suède dans l’alliance de la France ; qu’au moment où il vit les protestans, les Hessois, les Suédois épuisés, il les fît retirer du combat, il les fît relever par la France, qui décida la victoire à la fin de la guerre de trente ans. Il fallut qu’il usât contre elle-même la mauvaise volonté des puissances placées hors de la portée de son bras ; que, ne pouvant obtenir la neutralité de l’Angleterre, il suscitât contre Charles Ier les Écossais et Cromwell ; que, pour prévenir sa diversion sur le continent, il le retînt chez lui par une guerre civile[1].

Ainsi s’opérèrent l’humiliation définitive de l’aristocratie, l’abaissement de la branche espagnole, l’abaissement de la branche autrichienne. On est étonné de ce qu’il fallut de force, de génie et de volonté, pour suffire simultanément à cette multiplicité d’entreprises. Les résultats surpassent encore en importance la grandeur des projets. Richelieu prétendit rendre à la France ses limites naturelles des Alpes, de la Méditerranée, des Pyrénées, de l’Océan et du Rhin. Par l’art qu’il mit à profiter des circonstances après la mort du duc de Weimar, et par des conquêtes qu’il pressait encore, la veille de sa mort, il réunit au royaume l’Alsace, la Lorraine[2], l’Artois, le Roussillon. Il calcula les chances qui pouvaient soustraire la Franche-Comté à la domination de l’Espagne : il partagea avec les Hollandais les Pays-Bas espagnols, assignant à la France les provinces qui s’étendent jusqu’à Anvers et à Malines. Des circonstances contraires et la trahison des Hollandais traversèrent ce double projet ; mais il marqua ces pays pour la conquête, il les désigna à l’invasion française, et il laissa à ses successeurs, qui osèrent moins que lui, les moyens de s’en saisir.

En effet, la plus grande armée que le gouvernement de Louis XIII eût rassemblée avant Richelieu ne se composait pas de plus de dix ou douze mille soldats[3]. Beaucoup de ducs allemands avaient une force militaire égale ou

  1. Charles Ier avait refusé de garder la neutralité. Dans une dépêche au comte d’Estrade, ambassadeur de France à Londres, on lit ces mots terribles de Richelieu : « L’année ne se passera pas sans que le roi et la reine d’Angleterre ne se repentent d’avoir refusé les offres que vous leur avez faites. »
  2. La France, mais après sa mort, rendit la Lorraine.
  3. Cette armée est celle que Louis XIII conduisit au siége de Montauban. Le chiffre varie dans les historiens. Bernard prétend qu’elle s’élevait à 40,000 hommes ; Richelieu, dans ses Mémoires, dit positivement qu’elle ne fut jamais de plus de 12,000 hommes (liv. XII,