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HISTOIRE DE FRANCE.

question oiseuse, inutile, insoluble, de simple théorie, mais une question de l’utilité la plus directe et la plus immédiate. Et quand on songe que l’article du tiers-état a précédé de soixante-huit ans la déclaration de 1682 ; que le plus puissant génie du siècle de Louis XIV, que l’homme le plus versé dans les matières politiques et religieuses à la fois, Bossuet, s’est borné à prendre l’esprit de cet article ; que dans la rédaction il a été moins précis et a prévu moins de cas ; qu’il a serré de moins près, enfermé dans des barrières moins étroites et moins solides des doctrines subversives ; alors on prend une haute idée de la justesse de vues et de raisonnement, de l’expérience politique de ces hommes du tiers-état.

Il nous semble que M. Bazin a traité trop légèrement, n’a pas exposé d’une manière assez large, assez complète, quelques points qui fixèrent l’attention du tiers-état. Ces intérêts touchaient à l’existence du gouvernement et même de la société en France ; et, à ce titre, ils forment peut-être les deux parties les plus importantes des états-généraux de 1614. D’un côté, nous voulons parler de l’état du peuple et des conditions de durée de la monarchie ; de l’autre, de la réforme des diverses branches de l’administration.

Les changemens les plus importans sont survenus dans l’état social de la France depuis l’abaissement de la féodalité. La classe des bourgeois et une partie de celle des paysans ont conquis leur liberté : l’obéissance passive, le despotisme sans frein ont fait leur temps. La pensée humaine s’est affranchie par la découverte de l’imprimerie. L’esprit d’examen, de doute, de changement, a été porté par la réforme dans les matières de religion : il s’étendra de toute nécessité aux matières de gouvernement. Les doctrines anarchiques de la Ligue, la faiblesse des derniers Valois, l’absence de toute action gouvernementale sur une partie des provinces, durant trente ans, ont laissé nécessairement dans les esprits des dispositions qui peuvent rester inactives pendant un temps plus ou moins long, mais qui ne peuvent mourir. De plus, la France touche, par tous les points, à des pays dont le gouvernement diffère du sien : Venise, la Suisse, la Hollande, sont régies par les formes républicaines ; l’Angleterre s’est donné une constitution mêlée de royauté, d’aristocratie, de démocratie. Des velléités d’imitation peuvent, d’un moment à l’autre, saisir l’esprit français et le conduire à d’étranges expériences. La force, une force irrésistible, réside dans le peuple ; il est insensé de faire peser sur lui un poids insupportable ; au premier mouvement de ses robustes épaules, il renverserait tout ce qu’elles portent, trône, aristocratie, clergé.

Ces pensées préoccupent gravement le tiers-état de 1614 et son président Miron. Ils ne rêvent pas une révolution, un déplacement de pouvoir. La monarchie est établie ; ils ne songent à la détruire ni dans son principe, ni dans ses formes essentielles. Ils ne veulent que la modérer dans son exercice, et la perfectionner par la réforme de l’administration. Henri IV a travaillé constamment à cette œuvre ; on la laisse maintenant dépérir. Le tiers-état et Miron demandent que le gouvernement de Louis XIII la reprenne et la