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France et des Pays-Bas avaient été victimes au temps de Charles IX et de Philippe II. Agissant sous ces impressions, ils avaient, dans leur assemblée de Saumur, mis en avant les propositions les plus hostiles à la royauté, et s’étaient unis plus étroitement par une nouvelle formule de serment. En 1612, Rohan, leur chef, s’était emparé de Saint-Jean-d’Angély à main armée. La régente, redoutant les deux cents places fortes des réformés, leurs ressources en argent, leurs assemblées et leurs moyens de se concerter, l’inquiétude et les talens de leurs chefs, avait fermé les yeux sur cette infraction à la paix publique et sanctionné cette usurpation.

D’un autre côté, les principaux seigneurs, Condé, Mayenne, Nevers, Bouillon, avaient pris les armes, avaient imposé à la cour le traité de Sainte-Menehould, au mois de mai 1614, et n’avaient posé les armes qu’en recevant des accroissemens de gouvernemens, de troupes, de pensions. Et non-seulement la guerre civile avait recommencé, l’autorité du roi avait été méconnue, mais ses droits même à la couronne avaient été mis en question. À Milan et dans les Pays-Bas, le prince de Condé avait agité avec les Espagnols, les bons amis de Marie de Médicis, s’il ne devait pas disputer le trône à Louis XIII, sous le prétexte que le divorce de Henri IV et de Marguerite de France était réprouvé, selon eux, par toutes les lois divines et humaines, et que les enfans qu’il avait eus de Marie de Médicis étaient frappés d’illégitimité.

Assemblés à la fin de 1614, quelques mois après le traité de Sainte-Menehould, les députés du tiers-état craignaient de voir renaître les temps et les doctrines de la Ligue ; et, au milieu de l’armement général des huguenots pour cause de sûreté, ils craignaient aussi de voir la légitimité de la succession du jeune roi remise à l’arbitrage d’un pape vendu à l’Espagne, ou d’une assemblée factieuse, placée sous l’empire des princes révoltés. Dominés par ces impressions, ils rédigèrent et placèrent en tête de leur cahier l’article relatif à l’inviolabilité de la personne des rois et à l’indépendance de la couronne, que M. Bazin nous semble traiter avec trop de dédain. C’est un des morceaux les plus curieux de notre ancien droit public. Ni Philippe-le-Bel, ni Louis XIV, ne passent, jusqu’à présent, pour des esprits spéculatifs, agitant à plaisir d’oiseuses questions sur la nature et les limites des pouvoirs : dans tout ce qui touchait à leur autorité, ils ont la réputation d’avoir été singulièrement pratiques et positifs. Eh bien ! Philippe-le-Bel comme Louis XIV, comprenant de quels coups la puissance spirituelle pouvait frapper leur puissance temporelle, tout ce que la cour de Rome pouvait leur susciter d’embarras et de dangers, en soulevant contre eux l’esprit religieux, ne se sont crus assurés contre leurs ennemis qu’en faisant déclarer en 1302 et en 1682 que leur couronne était complètement indépendante du saint-siége, et que, pour leur temporel, ils relevaient de Dieu seul. La conduite de Philippe-le-Bel et de Louis XIV, et l’histoire des règnes de Henri III et de Henri IV donnent pleinement gain de cause au tiers-état de 1614 contre M. Bazin. En proposant l’indépendance de la couronne, le tiers-état de 1614 n’agitait donc pas une