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défendant l’indépendance de la France, couvrirent et protégèrent celle de l’Europe. Les chances de réussite tournèrent du côté de Philippe II durant nos guerres de religion ; puis l’essor de cette grande fortune fut arrêté de nouveau, et le péril commun conjuré par Henri IV. À la fin de son règne, les deux branches de la maison d’Autriche, en Espagne et en Allemagne, fléchissaient sous Philippe III et Rodolphe II, les deux princes, sans comparaison, les plus incapables de l’Occident. Mais l’ambition vivait toujours dans cette maison, et des ressources réelles, quoique cachées et inactives, subsistaient au sein de sa vaste domination. La preuve de cette vérité, c’est que trois grands hommes, Richelieu, Gustave-Adolphe, Condé, suffirent à peine plus tard à détruire ces ressources, à réduire cette ambition. Henri IV, même au milieu de l’affaiblissement momentané de la maison d’Autriche, apercevait ses secrets moyens de se relever ; et, avant que ce grand corps eût repris ses forces, il voulait le terrasser. Mais Ravaillac le frappa au moment même où il préparait l’œuvre qu’accomplirent vingt ans plus tard les glorieux continuateurs de ses desseins.

Tel était l’état de la France dans ses rapports avec l’Europe, quand Louis XIII fut appelé à succéder à son père. Quelle était au même moment la situation intérieure du pays ? Henri IV ne conquit pas la dixième partie de son royaume : il n’établit son pouvoir sur le reste que par des concessions faites aux chefs de la Ligue comme à ses partisans, aux huguenots, aux catholiques exaltés, à la cour de Rome. Les grands seigneurs obtinrent de lui les gouvernemens de provinces et de villes, avec l’autorité importante qui y était attachée, tandis que la masse de la noblesse conservait les droits féodaux inférieurs qu’elle a retenus jusqu’à la révolution de 89.

Par l’édit de Nantes et par divers édits subséquens, Henri IV accorda aux huguenots le droit de s’assembler et de se concerter entre eux pour les affaires politiques, aussi bien que pour les questions religieuses : en 1605, ils renouvelèrent l’union de Mantes, qui était un véritable projet de république. Ils avaient arraché au roi, comme garantie de la liberté de conscience, la garde de deux cents places fortes, dont cent pouvaient attendre une armée, la nomination de gouverneurs de leur communion dans ces villes, une somme de 180,000 écus par an pour l’entretien des garnisons, et 45,000 écus pour les dépenses de leur culte et de leur société. C’était un état dans un état : justement mécontens, ou séduits par des ambitieux, ils pouvaient, en un jour, organiser la guerre civile d’un bout du royaume à l’autre. À la mort de Henri IV, ils ne conservaient plus ces redoutables priviléges que pour quelques mois ; mais prétendre les leur retirer, c’était vouloir jouer la couronne.

Les états provinciaux subsistaient en Bretagne, en Provence, en Bourgogne. La pauvreté du rôle politique qu’avaient joué les états-généraux et les notables, depuis la mort de Henri II, avait fait tomber en désuétude les assemblées nationales : la France avait besoin d’ordre et de calme. L’on avait donc, sans réclamation, laissé Henri IV rétablir la forme de la monarchie absolue. Mais il n’y avait encore prescription ni en faveur de la couronne, ni