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y laisseraient en contre-valeur les produits de leur industrie. Ces produits matériels et susceptibles d’être consommés seraient bien plus utiles que des spéculations commerciales, qui ne sont bien souvent qu’un jeu ou une exploitation de banque. D’ailleurs, la tendance actuelle de Mohammed-Ali n’est-elle pas de diminuer sans cesse les profits du commerce ? Les enchères, les adjudications de fournitures, n’ont-elles pas eu pour effet de réduire les grandes maisons à la banque et à l’escompte ? D’un autre côté, Mohammed-Ali, tout en désirant conserver la haute main sur la grande industrie, n’a-t-il pas associé ou offert d’associer plusieurs Européens aux bénéfices des fabriques ? Il fournit le capital et les bras, et donne au talent la moitié des profits. Cette combinaison paraît avantageuse ; pourtant plusieurs Européens l’ont refusée, parce qu’ils ne se sentaient pas entièrement libres.

Il est donc dans l’intérêt de l’Égypte que l’industrie européenne remplace de plus en plus le commerce des produits indigènes, qui peut être fait plus économiquement par l’administration. Cette prépondérance industrielle ne fera qu’augmenter le nombre des Européens. Aussi sommes-nous plus que jamais convaincu que le projet des enchères de firmans, considéré même sous un point de vue politique plus général, est loin de contrarier les tendances progressives de l’Égypte.

Ce projet fonde le crédit du gouvernement égyptien en Europe, et ce crédit lui serait facilement acquis par l’observation rigoureuse de ces deux conditions : 1o  n’émettre de firmans que sur des marchandises existantes ; 2o  fournir des qualités conformes aux énonciations des firmans. L’intérêt du gouvernement égyptien, bien entendu, devrait naturellement lui faire remplir ces deux conditions, et lui imposer la plus scrupuleuse bonne foi ; car ce n’est point ici une opération isolée, mais une série de ventes annuellement renouvelées, et dans lesquelles par conséquent on ne saurait espérer de tromper long-temps les acheteurs.

La réalisation de ce projet activerait le mouvement maritime, par la certitude qu’auraient les navires d’un chargement immédiat ; et, si le gouvernement employait les bénéfices de cette réalisation à améliorer l’agriculture et à encourager l’industrie (ce qui est bien plus rationnel que de laisser capitaliser ces bénéfices par les commerçans européens), il en résulterait une augmentation de production qui rejaillirait à son tour sur le mouvement maritime et commercial : le port d’Alexandrie pourrait alors rivaliser avec celui de Constantinople.

Voici l’état comparatif de la navigation de ces deux ports pendant l’année 1836 :