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LA HONGRIE.

Les magnats craignent d’être écrasés sous les ruines de l’édifice construit par leurs ancêtres, et désirent voir s’animer le corps inerte dont ils sont la tête intelligente. Le roi profite de cette disposition pour affaiblir une caste puissante par ses richesses et l’influence personnelle de ses membres ; il espère ainsi frapper le peuple hongrois dans ce qu’il a de vivace et de caractéristique, et le trouver ensuite plus souple, plus propre à être façonné selon le type allemand. Il appelle donc de tous ses vœux l’affranchissement des paysans, comme les rois de France se sont déclarés protecteurs de la bourgeoisie ; mais il se décide de mauvaise grace à sanctionner toute mesure nationale.

L’absence de la classe moyenne laisse un vide que rien ne peut combler. À qui l’aristocratie fera-t-elle partager ses sentimens de patriotisme ? Sera-ce à ce troupeau d’esclaves qu’elle a si long-temps exploité ? Ces malheureux, dont on a fait des bêtes de somme, accepteraient sans murmure le bât de l’Autriche ; car, il y aurait de l’injustice à le nier, il est doux en comparaison de celui qui les accable. Le nom de la liberté sera-t-il prononcé par des bouches imprudentes ? Mais, pour des esclaves, la liberté n’est-elle pas le droit de tuer les maîtres, ou, tout au moins, celui de les opprimer à leur tour ? Les réformateurs ne doivent donc point compter sur la masse de la nation ; l’appeler à l’œuvre, ce serait se rendre coupable d’une faute immense, ce serait ouvrir une carrière sanglante et faire rétrograder la Hongrie pour des siècles. Les peuples, comme les individus, n’ont droit à l’exercice de leur liberté que lorsqu’ils sont capables de comprendre tous les devoirs que cette grande faculté leur impose. Les nobles hongrois, cependant, ont un rôle magnifique à remplir : que par leurs soins, que sous leur direction, les paysans soient appelés à la vie civile ; que l’instruction, soutenue par la morale religieuse, visite les campagnes ; que, par leurs efforts, l’industrie et l’agriculture apportent aux travailleurs le bien-être et la richesse, ils commanderont à des hommes dont les cœurs battront aux mots d’indépendance et de patrie. La nationalité hongroise ne sera plus en danger, car alors elle ne résidera point dans une seule caste, mais dans un peuple jeune, actif et courageux, et, pour me servir d’une expression de Mirabeau, jamais la constitution ne sera vendue pour du pain !

Aux approches de la diète de 1839, tous les esprits étaient en suspens. Le gouvernement, intéressé à connaître les vœux de tous les partis pour les combattre ou les seconder, se relâcha de sa rigueur ;