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Depuis l’incident du concert, qui avait fait nécessairement jaser, Meyer n’avait pas revu Mlle de La Prise. Il la retrouve à un bal pour lequel on lui avait envoyé de deux côtés différens deux billets : un de ces billets, il en a disposé assez légèrement pour un ami de comptoir qui était présent lorsqu’il recevait le second ; il n’a pu résister à lui faire ce plaisir.

« Hier, vendredi, fut le jour attendu, redouté, désiré ; et nous nous acheminons vers la salle, lui fort content, et moi un peu mal à mon aise. L’affaire du billet n’était pas la seule chose qui me tînt l’esprit en suspens : je pensais bien que Mlle de La Prise serait au bal, et je me demandais s’il fallait la saluer, et de quel air ; si je devais lui parler, si je pouvais la prier de danser avec moi. Le cœur me battait ; j’avais sa figure et sa robe devant les yeux ; et quand, en effet, en entrant dans la salle, je la vis assise sur un banc près de la porte, à peine la vis-je plus distinctement que je n’avais vu son image. Mais je n’hésitai plus, et sans réfléchir, sans rien craindre, j’allai droit à elle, lui parlai du concert, de son ariette, d’autre chose encore ; et, sans m’embarrasser des grands yeux curieux et étonnés d’une de ses compagnes, je la priai de me faire l’honneur de danser avec moi la première contredanse. Elle me dit qu’elle était engagée. — Eh bien ! la seconde. — Je suis engagée. — La troisième ? — Je suis engagée. — La quatrième ? la cinquième ? Je ne me lasserai point, lui dis-je en riant. — Cela serait bien éloigné, me répondit-elle ; il est déjà tard, on va bientôt commencer. Si le comte Max, avec qui je dois danser la première, ne vient pas avant qu’on commence, je la danserai avec vous, si vous le voulez. — Je la remerciai ; et, dans le même moment, une dame vient à moi et me dit : — Ah ! monsieur Meyer, vous avez reçu mon billet ? — Oui, madame, lui dis-je ; j’ai bien des remercîmens à vous faire ; j’ai même reçu deux billets, et j’en ai donné un à M. Monin. — Comment ! dit la dame ; un billet envoyé pour vous !… Ce n’était pas l’intention, et cela n’est pas dans l’ordre. — J’ai bien craint, après coup, madame, que je n’eusse eu tort, lui répondis-je ; mais il était trop tard, et j’aurais mieux aimé à ne point venir ici, quelque envie que j’en eusse, que de reprendre le billet et de venir sans mon ami. Pour lui, il ne s’est point douté du tout que j’eusse commis une faute, et il est venu avec moi dans la plus grande sécurité. — Oh bien ! dit la dame, il n’y a point de mal pour une fois. — Oui, ajoutai-je, madame ; si on est mécontent de nous, on ne nous invitera plus ; mais, si on veut bien encore que l’un de nous revienne, je me flatte que ce ne sera pas sans l’autre. — Là-dessus elle m’a quitté, en jetant de loin sur mon camarade un regard d’examen et de protection. — Je tâcherai de danser une contredanse avec votre ami, m’a dit Mlle de La Prise d’un air qui m’a enchanté. — Et puis, voilà que l’on s’arrange pour la contredanse, et que le comte Max n’était pas encore arrivé. Elle m’a présenté sa main avec une grace charmante, et nous avons pris notre place. Nous étions arrivés au