vait avoir vingt ans environ en 1760. Elle passe sa vie dans la haute société hollandaise, ses étés à la campagne, à Voorn, à Heer, à Arnhem ; elle écrit à sa mère toujours en français, et du plus leste : c’est sa vraie langue de nourrice. Elle lit avec avidité nos auteurs, Mme de Sévigné, la Marianne de Marivaux, même l’Écossaise de Voltaire, ces primeurs du temps ; le Monde moral de Prévost, qu’elle appelle « une sorte de roman nouveau et très bien écrit, sans dénouement encore : aussi est-ce moins une intrigue que des réflexions sur diverses histoires détachées ; il y a du riant et du tragique, de la finesse et de la solidité dans les remarques. Il m’en coûte toujours un peu, ajoute-t-elle, au sortir de ces lectures, d’en venir à relire, comme je voulais faire cette fois, Pascal et Dubos. »
Aux grandes tantes, aux grands parens respectables (quand il vient d’eux quelque lettre), on l’avertit qu’il faut répondre en hollandais. « Je me suis hâtée, dit-elle, de le faire du mieux que j’ai pu. Les H W Gh n’y sont pas épargnés, non plus que les T K. » Elle se moque juste comme Boileau en son temps faisait du Whal ou du Leck :
Elle peint au naturel et avec enjouement la société hollandaise d’alors[1], comme eût fait une Française détachée de Paris et qui aurait noté à livre ouvert les ridicules et les pesanteurs : « Hier, nous jouîmes des plaisanteries d’un jeune Amsterdammois. » Et les demoiselles nobles à marier, elle oublie qu’elle l’est et qu’elle n’aura que peu de dot ; elle s’égaie en attendant :
- ↑ D’alors, et, dans tout ce qui suit, je prie de remarquer que je n’entends parler avec Mme de Charrière que du passé ; la société actuelle de La Haye est, m’assure-t-on, des plus désirables.