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ÉCONOMIE POLITIQUE.

en ces dernières années, a fait déborder des flots d’encre et de bile. Des livres, des pamphlets dignes des beaux jours de la Sorbonne, ont remué toutes les passions de séminaire. Un prêtre du diocèse de Bayeux a osé écrire dans une brochure que la décision papale est un oreiller mis sous la tête du pécheur. Le doyen de la Faculté de théologie de Lyon, l’abbé Étienne Pagès, vient de publier un énorme volume, qui n’est pourtant que le discours préliminaire d’une dissertation sur le prêt à intérêt, dans laquelle on prétend rétablir les principes fondamentaux en matière d’usure, ébranlés, dit-on, par les réponses récentes des congrégations romaines. Ce livre témoigne douloureusement de cette préoccupation du clergé français qui croit sentir dans tout mouvement social le souffle impur du protestantisme. L’horreur chronique des innovations les mieux justifiées conduit parfois l’auteur jusqu’au grotesque. Par exemple, dans les cas de conscience qu’il se propose, il déclare, d’après un théologien du siècle dernier, que le tuteur qui reçoit en dépôt de l’argent pour son pupille, et qui est tenu, aux termes du Code, de représenter l’intérêt légal de cet argent, ne peut pas même opérer un placement à terme ; mais, ajoute-t-il, il a la ressource d’entreprendre un commerce, et de faire participer le mineur aux bénéfices. L’expédient n’est-il pas merveilleux ? À l’avenir, le rentier, l’avocat, l’artiste, en acceptant une tutelle, s’empressera de suspendre une enseigne à sa porte ! Cette solution, tout ingénieuse qu’elle soit, ne restera sans doute pas sans réponse, car les hostilités ont été poussées trop vivement jusqu’ici pour qu’on s’arrête en si beau chemin. Ainsi, M. Nolhac, qui se fait distinguer dans la mêlée par sa courtoisie et une sorte de parure littéraire, trouve moyen d’insinuer que M. l’abbé Pagès, professeur de morale, a imprimé sur un frontispice ces mots sacramentels : Avec approbation des supérieurs, bien que cette approbation de l’autorité diocésaine n’ait pas été donnée ; il fait comprendre à d’autres prêtres qu’il est peu loyal d’avoir changé du blanc au noir l’opinion imposante de l’abbé Bergier, dans une réimpression du Dictionnaire théologique de cet auteur. D’autre part, les rigoristes, qui ont l’avantage du nombre, s’inquiètent fort peu de couvrir les termes, et c’est sur ce ton que l’un d’eux répond à un adversaire. « Le livre que je réfute est un libelle infâme qui porte avec lui sa malédiction, son opprobre et son ignominie. » En ces jours où l’aigreur des discussions politiques est si affligeante, on se consolerait, s’il était possible, à penser qu’il y a plus de violence encore dans les débats d’un autre monde, lequel est tout simplement le monde religieux.

Si une portion notable de la société refuse encore de se faire initier aux mystères du crédit, chaque jour en revanche accroît le nombre des personnes dont l’unique affaire est de méditer sur les propriétés de l’argent. On a si souvent présenté le mouvement des capitaux comme un gage infaillible de prospérité, que l’opinion publique est disposée à accueillir toutes les mesures qui tendent à le précipiter. Il est hors de doute qu’une abondante circulation est un bienfait, quand l’accélération s’opère graduellement et sans secousses, quand c’est le débordement naturel de la richesse acquise qui apporte chaque