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munités à des villes, à des provinces entières, ce qui introduisait de choquantes inégalités au sein d’un même peuple : c’étaient l’aliénation des revenus, les avances qu’on n’obtint jamais à moins de 10 p. 100 aux meilleurs temps de Colbert, et qu’il fallut payer jusqu’à 50 p. 100 sous Richelieu ; c’étaient encore les baux de fermes qui livraient des populations entières à la rapacité des traitans, et pour suprême remède, les coups d’état, les banqueroutes, lesquelles, à la vérité, n’avaient pas alors le caractère odieux qu’elles ont pris de nos jours, parce qu’au lieu de frapper des créanciers confians, elles pressuraient des usuriers sans pudeur, insolemment gonflés des sueurs populaires. La banqueroute prenait plusieurs masques, quelquefois même celui de la justice ; souvent des tribunaux étaient spécialement institués pour la recherche des traitans et de tous ceux qui avaient fait avec l’état des bénéfices usuraires. Sully n’approuvait pas l’emploi de ce piége, qui, disait-il, ne servait qu’à prendre les petits larronneaux. Cependant, au commencement de la régence, la dernière chambre de justice qui fut instituée, condamna 4,170 personnes à rembourser 219,000,000 de livres, le tiers environ de leur fortune, et prononça même la peine de mort contre quelques-uns des plus compromis.

La conclusion fort remarquable du livre de M. de Thou est que, sous l’ancien régime, les contributions publiques faisaient peser à peu près sur chacun les mêmes charges qu’aujourd’hui. Sous Louis XIV, même avant les années désastreuses, l’impôt par tête, en tenant compte de la valeur réelle et de la valeur relative de l’argent, équivaut à 31 francs en monnaie du jour. Le budget des recettes présenté par Necker, s’élève à 585,000,000, auxquels il faut ajouter au moins 175,000,000 pour redevances au clergé et aux seigneurs, ainsi que pour diverses charges qui ne figuraient pas alors dans les comptes, et qui depuis ont été comprises dans les recettes publiques. On levait donc, en France, environ 700,000,000 d’impôts sur une population de vingt-quatre à vingt-cinq millions d’habitans. La moyenne est de 28 francs par tête, somme qui correspond à 33 fr. 60 cent. de notre monnaie, en évaluant modestement à un cinquième l’élévation de prix que toutes les choses ont subies depuis 1789, et que l’impôt a dû suivre comme le reste. Ajoutons que le fardeau, réparti aujourd’hui avec toute l’équité possible, est beaucoup plus tolérable ; que si l’on pouvait comparer, pour les deux époques, le total de l’impôt avec le capital en circulation, l’avantage serait encore de notre côté, et qu’évidemment les services publics se sont améliorés et étendus. Bref, pour les contribuables, l’argent est moins difficile à obtenir, et l’état fait plus de choses avec moins d’argent. Des rapprochemens de ce genre prêtent beaucoup d’intérêt au livre de M. de Thou. Il s’est approprié, en les éprouvant par la critique, les études des écrivains qui ont frayé sa route, comme Forbonnais, Dupré de Saint-Maur et Cormeré ; il a su éviter leur sécheresse et fondre dans un récit varié la chronologie des taxes et l’exposé des opérations. Nous blâmerons seulement un peu de confusion dans l’ordonnance des matières. Les résultats purement financiers ne se détachent pas assez nettement des considérations générales, et les hommes spéciaux regretteront