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qu’on comprît les dangers de cette manœuvre, et la France n’y renonça complètement qu’après avoir reçu de Law, excellent maître en matière de finances, des leçons qui, par malheur, ont coûté trop cher. Il arrivait encore que les rois, dans un pressant besoin, vendaient des parcelles de leur domaine privé, et que, plus tard, les gens du roi, en vertu du principe de l’inaliénabilité de ce domaine, reprenaient violemment le gage, sans restituer l’argent reçu. En tel cas encore, le vol était une spéculation déplorable. La mauvaise foi de l’emprunteur ne servait qu’à rendre les emprunts plus difficiles et plus désastreux. Une autre ressource de la royauté était la proscription et la spoliation de tous ceux qui trafiquaient sur l’argent. Mais cette mesure avait-elle le caractère de généralité que les historiens lui attribuent ? Faut-il confondre les grands banquiers italiens désignés sous le nom de Lombards, avec les usuriers ambulans, les petits prêteurs sur gages qui absorbaient la substance du menu peuple ? Pourquoi les gens de Cahors ou Caorsins ont-ils donné leur nom à cette race dévorante, tandis que les habitans de quelques autres villes, ceux de Caen, par exemple, semblent avoir partagé avec eux, et même par concession royale, le privilége de l’usure ? Ces points ont été jusqu’ici laissés dans le vague par les historiens. Nous croyons pourtant que, s’ils étaient convenablement éclairés, ils pourraient refléter une vive lumière sur tout ce qui s’est rattaché aux intérêts matériels pendant le moyen-âge. Il est à regretter que M. de Thou ne les ait pas abordés avec cette érudition sobre et pourtant décisive qu’on aime dans son livre.

L’invasion anglaise fit sentir la nécessité d’un pouvoir qui représentât la nation et dirigeât la défense commune. La royauté était seule préparée à ce rôle. Ce fut seulement lorsqu’elle put parler partout au nom de l’intérêt général, qu’elle fit l’essai d’un système régulier d’impositions. On ne pouvait atteindre la propriété foncière qu’avec réserve ; il fallait ménager la noblesse, dont la défection au profit de l’Angleterre était à craindre, et la bourgeoisie, qui, dans toute la verve de sa liberté nouvellement conquise, n’accordait des aides que temporairement et sous conditions. L’impôt indirect, dont la charge était plus divisée, et qui pesait surtout sur cette classe dont les douleurs sont muettes, rencontra moins d’opposition, et se constitua le premier. Par l’établissement des greniers à sel en 1342, le gouvernement s’arroge un monopole et crée un maximum à son profit. Sous Charles V, le génie fiscal se développe et s’enhardit. Les consommations et les transactions deviennent, autant qu’il est possible à cette époque, des sources de revenus pour le trésor. À l’avènement de Charles VI, cette race d’hommes qui est toujours prête à exploiter les révolutions, s’est déjà groupée autour du trône. Les charges deviennent accablantes. En 1382, le peuple de Paris plie sous le fardeau, et se relève menaçant. Mais, comme dit M. de Thou, une révolte avortée consacre ce qu’elle a voulu détruire. Les aides sont établies définitivement et leurs produits affermés. Les élus, officiers de finance désignés d’abord par les trois ordres, ne sont plus que des agens de la couronne. En 1388 et en 1396, le roi se trouve assez puissant pour lever de plein droit des