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soi-même, une initiation est nécessaire ; mais elle n’est pas longue et fastidieuse, comme on paraît le craindre, et par les faits imprévus qu’elle met en saillie, par les observations et le mouvement d’idées qu’elle excite, elle a souvent tout l’attrait d’une découverte. Un service réel que la presse aurait à rendre, serait de combattre cet éloignement irréfléchi pour les livres positifs, pour les travaux ou documens capables d’alimenter solidement les creuses discussions dont la politique est le sujet banal. De notre part, un examen suivi, l’emprunt des faits importans, et même des critiques sévères, toujours préférables au silence absolu, ne cesseront pas de provoquer l’attention publique en faveur des écrivains qui se préoccupent noblement des intérêts généraux.

Les livres de pure théorie ont fait défaut en ces derniers temps. Nous espérions entretenir nos lecteurs d’une publication qui doit faire date dans la science, le Cours d’Économie politique de M. Rossi. Le sentiment légitime de l’importance qui s’attache à cet ouvrage, le désir d’améliorer, aussi louable qu’il est rare, retardent de jour en jour la mise en vente du premier volume et éloignent indéfiniment le volume complémentaire. Dans ses Recherches sur les principes mathématiques de la Théorie des Richesses, M. Augustin Cournot[1] a tenté l’application de l’algèbre à l’économie sociale. Say et d’autres maîtres, qui rêvaient la popularité pour leur étude favorite, ont condamné formellement cet emploi des procédés algébriques. Il leur semblait qu’on courait chance d’effaroucher le vulgaire, si on appelait au secours de l’économie politique d’autres puissances que celles du sens commun. Mais cette crainte est peu réfléchie. Le meilleur moyen d’étendre les conquêtes d’une science n’est-il pas de nuancer son langage et de l’approprier ainsi aux diverses catégories que trace l’éducation dans le domaine des intelligences ? L’emploi des signes et des méthodes mathématiques devient admissible toutes les fois qu’il s’agit de discuter des relations entre des grandeurs. Il n’y a pas de raison pour que les personnes familiarisées avec ces signes se privent d’un rigoureux moyen d’analyse. Elles doivent se persuader seulement que l’instrument est difficile à manier, et que ses moindres écarts sont dangereux. Le calcul mathématique, qui ne peut saisir que des abstractions, ne doit intervenir dans l’étude des intérêts positifs que comme confirmation suprême de la logique et de l’expérience.

L’économie politique est en verve de prosélytisme. À côté d’un livre qui s’adresse aux intelligences fortifiées par les plus rudes exercices, elle place de simples Élémens[2], exposés dans une suite de dialogues entre un instituteur et son élève, et destinés aux écoles normales primaires ! l’Angleterre, dont nous subissons les usages à mesure que nous avançons dans la voie de l’industrialisme, ne néglige rien pour populariser les notions économiques. Plusieurs fois déjà, la science sévère de Smith y a été traduite en romans et

  1. vol. in-8o, chez Hachette, 12 rue Pierre-Sarrazin.
  2. vol. in-8o, chez Cherbuliez, rue de Tournon, 17.