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REVUE DES DEUX MONDES.

Vous savez, monsieur, quel parti on a voulu tirer de cette circonstance, que le traité du 15 novembre avait été imposé à la Belgique, humiliée par les désastres du mois d’août. Écoutez M. de Gerlache.

« Le traité de 1831, accepté, dit-on, sous l’influence d’une défaite, n’a plus de vigueur, aujourd’hui que la Belgique est redevenue forte et prospère. Il blesse l’honneur national, il nous ravit des concitoyens qui ont embrassé notre cause et partagé nos dangers. Je demande où l’on en viendrait avec une telle doctrine ? Il n’y aurait plus rien de stable parmi les nations, car tout traité qui intervient à la suite d’une défaite est nécessairement onéreux à celle des parties qui succombe. Est-ce que la France pourrait déclarer aujourd’hui la guerre à ses voisins, sous prétexte qu’elle n’est pas liée par les traités de 1815, et qu’ils ont été le déplorable fruit de la bataille de Waterloo ? Est-ce qu’elle pourrait reprendre Philippeville et Marienboug à la Belgique, et Sarrelouis à la Prusse, et relever les fortifications d’Huningue, sous prétexte que ces traités furent iniques et déshonorans pour elle ? Avons-nous intérêt, nous surtout, petite Belgique, nous qui ne saurions exister que sous l’empire du droit et des traités, à accréditer une telle jurisprudence en Europe ? »

La conduite du ministère du 15 avril, dans les négociations relatives à la Belgique, ne pouvait être, ce me semble, mieux justifiée.

Et ne croyez pas que M. de Gerlache soit de ceux qui veuillent ajourner l’exécution du traité, demander et obtenir de nouveaux délais. — Non, il pense que la Belgique a le plus grand intérêt à hâter le moment de sa reconnaissance définitive. Et savez-vous pourquoi ? C’est, dit-il, que l’état actuel de la France l’épouvante. Les passions égoïstes, acharnées, anarchiques, qui s’y disputent le pouvoir, sans nulle pitié pour le trône ni pour le pays, me font redouter quelque catastrophe prochaine, qui pourrait nous entraîner dans un commun désastre. » La première fois que, dans ces lettres, je vous ai exprimé ma ferme et constante opinion que, si la Belgique entraînait l’Europe dans une guerre générale, son indépendance et sa nationalité de huit ans n’y survivraient pas, on s’en est fort scandalisé à Bruxelles, et même autour du roi Léopold, qui se trouvait alors à Paris, Eh bien ! aujourd’hui, cette opinion est généralement répandue en Belgique. Vous voyez ce qu’en pense M. de Gerlache, et vous avez lu sans doute cette pétition de Liége, dans laquelle on établit fort nettement que, si la guerre avait lieu, la paix se ferait ensuite aux dépens de la Belgique, quel que fût le vainqueur.

Tout annonce donc, monsieur, que la chambre des représentans autorisera le roi Léopold à signer le traité modifié des vingt-quatre articles, et que par là le royaume de Belgique entrera définitivement dans la grande société européenne. Ce sera la solution pacifique dont parlait le discours de la couronne, la seule, je le répète, qui fût raisonnable et possible, et elle s’accomplira plus aisément qu’on ne l’avait pensé. Vous voyez bien que la raison finit toujours par avoir raison.


V. de Mars