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ordinairement qu’une affaire. Les commerçans n’entretiennent pas de correspondance, et ne reçoivent leurs avis que par les voyageurs. C’est pourquoi ils se passent aisément de comptabilité et de cet attirail de bureaucratie, accompagnement obligé de toute entreprise commerciale en Europe. Si, par amour de la régularité, les Européens sont tombés quelquefois dans la minutie, on peut dire que les Arabes ont donné dans l’excès contraire ; tout le commerce chez eux est écrit dans les plis du cerveau, et ils font même de tête tous leurs calculs arithmétiques. Le commerçant arabe a une allure entièrement libre ; il suit sa marchandise dans l’espace, plus encore que dans le temps ; mais aussi il ne peut embrasser un vaste ensemble d’opérations ; il sait mieux exécuter que concevoir ; il est plutôt facteur que négociant.

Le pacha a essayé d’introduire chez les commerçans égyptiens la lettre de change, et la faillite qui en est le corollaire légal. Il a installé au Kaire un tribunal composé de négocians européens et égyptiens, dont la compétence s’étend à tous les litiges entre nationaux et étrangers. Placé sur la limite des deux mondes et des deux droits commerciaux, ce tribunal applique tour à tour l’un et l’autre, inclinant cependant vers le droit européen ; mais, malgré la latitude de ses pouvoirs et l’éclectisme qui lui sert de boussole, la combinaison de ces deux élémens de jurisprudence commerciale n’est pas toujours sans difficultés. Les Égyptiens, qui ne connaissaient ni la lettre de change ni la faillite, éprouvent quelque peine à se plier à cette régularité et à cette précision absolue, qui leur semblent un lit de Procuste, un instrument de persécution et de mort, plutôt qu’un secours dans leurs embarras financiers. Il en résulte même de graves inconvéniens, et c’est sur cette limite des deux mondes que l’on aperçoit combien la lettre de change, et en général nos institutions commerciales, ont encore besoin d’importantes modifications. Comment appliquer le principe de la faillite chez un peuple où le sentiment de l’honneur n’existe pas, et dont la langue, si riche d’ailleurs et si étendue, n’a pas même de mot pour exprimer ce sentiment. Y a-t-il d’ailleurs un commerçant ou marchand en Orient qui tienne un livre-journal ? Aujourd’hui les négocians européens se plaignent que, dans leurs rapports avec les Orientaux, ils éprouvent souvent des faillites dans lesquelles il n’y a pas le plus petit dividende, tandis qu’autrefois ce fléau était entièrement inconnu dans le commerce du Levant. Il est vrai que les créanciers étaient exposés à attendre, mais ils étaient toujours payés intégralement. C’est peut-être en Orient, c’est en face de l’islamisme qui n’admet pas le prêt à intérêt, que la lettre de change, la faillite et la société commerciale recevront les améliorations dont le besoin se fait si vivement sentir en Europe.

Le commerce forme, en Égypte, trois grands dépôts : 1o  le dépôt des marchandises venant d’Europe ; 2o  le dépôt des denrées orientales ; 3o  le dépôt des productions même du pays. Il y a ordinairement deux degrés dans le dépôt : le dépôt du négociant et du marchand, le dépôt du magasin et le dépôt de la boutique, le dépôt en gros et le dépôt en détail.

Le premier degré du dépôt des marchandises venant d’Europe se trouve