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rendue en présence des chambres et sans leur concours, il dessaisit, au profit de la maison Laffitte, le trésor public d’une somme de 4,848,904 fr. 65 cent. sur l’indemnité d’Haïti, tranchant ainsi une question personnelle qu’il eût été de son devoir de faire décider d’abord parlementairement. Enfin, en abandonnant le ministère des finances au baron Louis, il ne laissa le service public du trésor assuré que pour quatorze jours, à l’issue desquels la banqueroute attendait les créanciers de l’état. Le ministère actuel a donné l’amnistie, il a fait cesser les attentats contre la vie du roi, il a pris Constantine, Saint-Jean d’Ulloa ; il a doté la France d’un immense système de canalisation, et, malgré l’opposition, de chemins de fer ; il a obtenu d’Haïti une indemnité considérable, tandis que M. Laffitte a profité personnellement de l’indemnité obtenue par d’autres ; enfin, lors de sa démission, il a présenté un budget où figure un immense accroissement de recettes. On voit que la comparaison est tout-à-fait heureuse entre le ministère du 2 novembre et celui du 15 avril, et M. Laffitte a été vraiment habile en parlant avec orgueil du temps où il était au pouvoir !

— Quoique la coalition ait pour elle la qualité, bien des médiocrités parlementaires, qui s’étaient jusque-là effacées dans les derniers et les plus obscurs rangs de la chambre, ont été tout à coup transformées en courageux et indépendans soutiens de nos libertés publiques. M. Estancelin n’était jusqu’ici connu à la chambre que comme un fort mince employé du domaine d’Eu, que la maison d’Orléans avait comblé de bienfaits de toute sorte, et qui, d’humble inspecteur des forêts privées, était devenu, par l’appui trop favorable du gouvernement, et en l’absence de toute candidature convenable, mandataire de l’arrondissement d’Abbeville. Dans les premières années, M. Estancelin appuya ouvertement et toujours l’administration ; mais depuis il s’est séparé du gouvernement du roi, et le voilà devenu, aux yeux du Constitutionnel, un député indépendant ! Des médisans ont, il est vrai, parlé de certain dîner royal où un amour-propre quelque peu exigeant aurait reçu atteinte ; de méchantes langues ont aussi rappelé une candidature à la questure qu’on n’aurait accueillie que par un sourire : ce sont là sûrement des calomnies. Mais serait-ce aussi une calomnie que d’extraire de l’Histoire des Comtes d’Eu et de quelques autres livres de M. Estancelin, des phrases qui ne seraient pas tout-à-fait d’accord avec ses allures libérales d’aujourd’hui ? Les habitans d’Eu pourraient aussi redire des couplets à Mme la duchesse de Berry, que le Constitutionnel ferait bien d’insérer pour l’édification des électeurs d’Abbeville. Dans la Seine-Inférieure, les compatriotes de M. Estancelin l’apprécient mieux, et l’honorable employé des forêts d’Orléans n’a jamais pu parvenir à y être nommé membre du conseil-général. Il est vrai qu’à Abbeville l’opposition radicale et les légitimistes ont voté aux dernières élections pour M. Estancelin. Que sera-ce aujourd’hui que M. Estancelin est naturellement placé sous le haut patronage de M. Berryer ? Mais les partisans sincères du gouvernement ne peuvent, ne doivent pas appuyer M. Estancelin.

— La coalition dit qu’elle ne veut pas la guerre. En attendant, le parti de