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des preux, à la bonne heure, ils recevront peut-être le prix de leurs efforts… Le parti radical a tort de dire que M. Thiers travaille pour lui en ce moment ; nous l’avons déjà dit depuis long-temps, M. Thiers travaille, bien malgré lui sans doute, pour les doctrinaires.

— Il n’est pas difficile de deviner le but de la lettre adressée nouvellement par M. Guizot à M. Leroy-Beaulieu, maire de Lisieux. M. Guizot prend les devans ; les électeurs veulent la paix : c’est un fait avéré, et la coalition ne parviendra pas à entraîner le pays à ses velléités belliqueuses. M. Guizot se hâte de se mettre en règle. En marchant avec ceux qui voulaient appuyer la Belgique contre la conférence, M. Guizot espérait refaire sa popularité ; il voit maintenant que la popularité n’est pas là, et il déclare aux électeurs de Lisieux qu’à son avis le cabinet aurait dû depuis long-temps forcer la Belgique à accepter le traité des 24 articles. Ainsi le tort du cabinet, aux yeux de M. Guizot, est d’avoir trop tardé et d’avoir perdu six mois à obtenir pour la Belgique un dégrèvement de 125 millions sur sa part de la dette commune entre elle et la Hollande ! Il eût mieux valu en finir tout de suite, pour nous épargner, dit M. Guizot, la triste attitude que nous tenons. Il résulte donc de la lettre de M. Guizot que, s’il eût été ministre, l’affaire belge serait finie depuis six mois, et que la Belgique aurait annuellement 3,400,000 florins à payer de plus qu’aujourd’hui à la Hollande ! Dans son ardent désir de satisfaire les électeurs, M. Guizot a, ce nous semble, dépassé le but, et il a imité ce cavalier qui pria Dieu de l’aider à se mettre en selle, et prit un si grand élan, qu’il tomba de l’autre côté. Mais le centre gauche et M. Thiers doivent voir par là s’ils peuvent compter sur l’opposition des doctrinaires, et l’on sait déjà qui courra le plus vite vers le ministère, quand il s’agira de s’en emparer.

— Les doctrinaires ont d’autant plus hâte de se constituer en bande à part, que les organes de la coalition sont assez difficiles à discipliner, et que, dans les départemens surtout, les feuilles de la gauche répondent bien mal aux recommandations de prudence qui leur sont faites par les chefs du parti. Ainsi, tandis que M. Arago désavoue la coalition dans les réunions d’électeurs qui ont lieu à Paris, les journaux radicaux des départemens en dévoilent toutes les menées, et répondent par des cris furieux aux paroles pacifiques que le Constitutionnel fait entendre depuis quelques jours. Nous en citerons quelques-uns, et nous ne choisirons même pas les plus violens.

— « C’est la guerre, plutôt que la honte, la guerre qu’un peuple doit savoir faire à temps, s’il la veut courte et de nature à le préserver de plus grands maux ; la guerre… mais tous ceux à qui nous pourrions la faire, la redoutent ; un coup de canon tiré par nous ébranlerait plus d’un trône absolutiste. »

(Courrier d’Indre-et-Loire.)

— « Il serait temps, en effet, dit le journal radical du Gers, d’en finir de cette politique à plat ventre. La France est fatiguée de se tenir courbée sous des humiliations qui ne s’adressent pas à elle. Les genoux ont fini par en faire mal à tous nos ministres, sans exception. »

(Le Pays du 10 février.)