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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

permis de le juger sous le rapport scientifique ; son éloquente simplicité, sa solidité philosophique, attestent une grande virilité de pensée. Parmi nous, les recherches et les travaux littéraires ou scientifiques qui tendent au même résultat sont déjà reconnus et acceptés comme les plus féconds. Vers ce but se dirigent les travaux de MM. Libri, Villemain, Sainte-Beuve, Ampère, etc. Celui qui écrit ces lignes indiquait, il y a quelques années[1], l’unique renouvellement possible de l’histoire littéraire : l’étude et le tableau du magnétisme intellectuel exercé par les nations entre elles, de leur secrète et perpétuelle fécondation, de leurs efforts divers, de leurs rapports et de leurs luttes, de ces rayons multiples qui, partis de tous les points, s’échauffent et se pénètrent mutuellement pour former le grand fleuve lumineux nommé civilisation ; synthèse de l’histoire intellectuelle, que les angoisses et les travaux de la société actuelle ne permettront sans doute pas d’achever de si tôt, mais à laquelle l’avenir ne peut manquer.

Un avocat célèbre, orateur politique d’une véhémence et d’une facilité redoutable, lord Brougham, si long-temps chef de l’opposition, puis chef de la magistrature et redevenu aujourd’hui l’un des porte-voix de cette opposition qui ne peut souffrir de chef, touche à la philosophie par plusieurs points, à la littérature par plusieurs autres, et se fait craindre sous toutes les formes par son talent, sa persévérance et sa passion. Nul n’a porté plus loin l’activité de l’esprit et l’emploi du temps ; sa main dure et infatigable n’a pas cessé d’entraîner la société anglaise dans la voie de ses destinées nouvelles. Les œuvres de Brougham ne le montrent pas tout entier. L’homme pratique sacrifie toujours beaucoup à la circonstance, à la nécessité, à l’action présente ; elles lui demandent un déploiement de forces qui se résume en faits. Chez Brougham, le détail des combats politiques ou judiciaires occupe un si vaste espace, que la postérité, étrangère à ces intérêts, ne le jugera pas complètement. Il est né pour la lutte ; la vigueur athlétique d’un esprit sans repos éclate dans ses discours, dans ses essais philosophiques, dans ses articles de journaux, dans ses pamphlets ; son style est musculeux, sa dialectique ardente, son invective impitoyable ; c’est la dureté critique d’Édimbourg, la taquinerie du plaideur et le beau hasard de l’improvisation. Appartenant, ainsi que Robert Peel, orateur d’un ordre différent, à la génération antérieure, ses plus belles victoires datent de l’époque comprise entre 1810 et 1830. Si vous joignez à ce nom celui d’O’Connell, l’Hercule

  1. Dans un discours d’ouverture du Cours sur le parallélisme des littératures modernes.