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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

se donne un trône et s’arroge un sceptre. Il ne manque au Cesarini[1] de M. Bulwer que d’être moins horrible et plus ridicule. Nous ne parlerons pas ici du drame de Mademoiselle de La Vallière, avortement complet, parodie emphatique d’une époque d’élégance et de majesté.

La place supérieure que le roman a usurpée ou conquise dans cette littérature justifie celle que nous attribuons ici au plus habile et au plus populaire des romanciers anglais. Le roman n’a pas seulement emprunté le costume de l’histoire, il a envahi son domaine ; on a publié, sans beaucoup de succès, le Roman de l’Histoire (Romance of History, by Leitch Ritchie and others). Le conte et la nouvelle, romans de second ordre et de petite dimension, ont rempli les annuaires et les magazines, et pénétré dans le récit des voyageurs ; ce genre équivoque a produit récemment quelques ouvrages qui ne manquent pas de charme : le Schloss Hainfeld, piquante description d’un château de Styrie, par le capitaine Head ; les Bubbles from Nassau, titre que les traducteurs essaieront de reproduire, s’ils en ont envie. L’érudition mêlée à une narration romanesque a donné, l’année dernière, un livre singulier, qui a fait grand bruit en Angleterre, et qui a pour titre le Docteur ; amalgame baroque de citations, de divagations, de réflexions, d’anecdotes et de rêveries. L’auteur, que l’on croit être Hartley Coleridge, défend avec vivacité, souvent avec esprit, les mœurs et les doctrines de la vieille Angleterre ; il dépouille mille bouquins poudreux et oubliés, pour en extraire un ou deux fragmens qui ont du prix, et relève des facéties souvent froides, des extravagances souvent sans verve et sans attrait, par des passages d’une sensibilité heureuse et d’un style excellent. Arrière-petit-fils de Rabelais, de Burton, de Sterne, dont il emprunte les grelots, il manque surtout de gaieté, et son sourire, plus mélancolique que plaisant, ne se communique pas au lecteur. On lui a pardonné l’affectation du désordre, le pédantisme des vieux lambeaux littéraires, le décousu des souvenirs, en faveur d’une certaine grace élégiaque, acérée par une concision rare et dissimulant une ironie philosophique de très bon goût. L’accueil fait à ce livre en Angleterre marque la distance qui sépare encore l’Angleterre de la France, malgré les points de communication établis entre les deux contrées ; fatras épouvantable pour nous, c’est un trésor de curiosités précieuses pour le littérateur et le savant britanniques de l’ancienne roche : ils blâment légèrement le désordre et la folie de l’ensemble ; mais ils admirent la

  1. Personnage du roman de Maltravers.