Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/680

Cette page a été validée par deux contributeurs.
676
REVUE DES DEUX MONDES.

tions des fils de famille qui courent y briguer la fortune ; enfin, cette étrange alliance du Nord et de l’Asie, d’une civilisation nouvelle et d’une civilisation décrépite. Marryatt, écrivain beaucoup trop vanté, diffus, vague et sans façon, qui plaît par une certaine gaieté naturelle, ne quitte pas ses chers matelots et ses officiers de la marine royale, dont le public commence à se lasser. Miss Martineau ne renonce jamais à cette philosophie doctorale et creuse de l’utilitaire benthamiste. Ces talens variés, qui n’ont rien d’éminent et de souverain, sont effacés par l’auteur du Livre de Loch du matelot Cringle, et surtout par celui du Journal d’un Médecin. Le médecin va s’asseoir au lit de tous les malades, écoute tous les soupirs, tâte le pouls du ministre et celui de la prostituée, assiste à toutes les agonies, répète toutes les confessions ; il est éloquent, clairvoyant et pathétique ; le plan de son œuvre, restreint en apparence, lui ouvre la porte du pauvre et du riche, de l’hôpital et du magasin. Il échappe à cette nécessité étroite de concentrer l’observation sur un point ; nécessité que l’analyse anglaise a cru devoir adopter comme un mérite, comme un avantage, et qui n’est qu’une entrave ; elle fausse le point de vue du peintre, qui, attentif à reproduire les antennes de l’insecte fugitif, oublie le paysage, l’horizon et le monde.

Une femme d’esprit, Mme Trollope, s’est tenue en dehors de ces bataillons différens. La satire, prédilection de son esprit plus vif que sympathique, lui a servi d’arme tour à tour contre les Américains qu’elle déteste, les faux dévots que le puritanisme d’Amérique lui a fait haïr, et les censeurs qui ne l’ont pas ménagée. Elle rappelle la verve caustique, mais non l’imagination animée de cette lady Morgan si connue en France, dont les succès, mêlés de revers, datent de la jeunesse de Walter Scott, et qui a écrit un nombre infini de volumes tour à tour avec poésie, étourderie, humeur, science et déraison, mais toujours avec une vivacité de coloris qui plaît au lecteur et déroute la critique. Enfin vous rencontrez dans la même route d’universalité facile l’homme d’esprit qui domine aujourd’hui la littérature anglaise, et qui en représente assez exactement les nouvelles tendances : M. Édouard Litton Bulwer.

Flexibilité, éclat, versatilité, fécondité, connaissance du monde, sagacité, ces qualités diverses se trouvent chez M. Bulwer, romancier, historien, poète, journaliste et dramaturge. Il a beaucoup d’idées, mais éparses ; beaucoup de lectures, mais indigestes ; ses œuvres nombreuses manquent d’harmonie dans la conception, de pureté dans l’exécution. L’éclat et l’effet, la précipitation du travail et la rapi-