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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

C’est le successeur de Walter Scott. Adieu donc, chevaliers aux bannières flottantes, villageoises d’Écosse aux pieds nus, savans antiquaires si décharnés et si amusans, contrebandiers de l’île de Man, délicieuses filles des montagnes, fuyez ; vous portez encore les blasons d’autrefois ; vous nous apportez l’écho de ces vieux âges que l’on répudie ; vous êtes de trop ; laissez-nous ! Cédez la place aux garçons de boutique de Londres, aux cochers de diligence, aux gentils palefreniers, aux gracieux imbécilles qui ont soixante ans, un gros ventre, une petite rente et un cerveau vide ; effacez-vous devant cette population niaise et brutale, que l’Angleterre honore, pendant que la France a des couronnes pour l’apprenti-parfumeur, le beau postillon et le coiffeur d’opéra-comique. Je ne veux pas chercher les causes de cette transposition de l’aristocratie ; elles pourraient bien se trouver dans quelques secrets penchans que la philosophie de l’histoire analysera si elle le juge à propos. Malgré la violence du mouvement politique, l’Angleterre essaie chaque jour de reconquérir son vieux titre de joyeuse. Les voiles funèbres dont elle s’enveloppait sont tombés ; elle se délecte en parcourant le Comic Annual, les Esquisses de Boz, les facéties chevaleresques de Nimrod, les caricatures de Hood ; elle a proclamé Pickwick et Sam Weller, deux héros merveilleux, et leur père, Charles Dickens, un grand écrivain.

Charles Dickens a de la facilité, du trait, et une certaine portée d’observation qui s’élève jusqu’à la bourgeoisie inférieure et se trouve à l’aise dans les derniers rangs. Il invente heureusement les scènes burlesques, et réussit moins bien dans le détail et le dessin des caractères ; on trouve de la verve dans les unes, et de l’indécision dans les contours des autres ; l’exactitude des détails matériels et la singularité des coins obscurs où il conduit le lecteur, compensations de ses défauts graves, font de ce romancier un écrivain plus amusant que durable. Un seul de ses personnages, palefrenier de son état, promu au grade de valet, dirigeant son maître, le sauvant malgré lui, sagement bouffon, trivial et spirituel, domine tous les types que M. Dickens a voulu créer. Sam Weller représente, sans y penser, l’effort sourd et secret du prolétaire anglais, courbé sous le double poids de l’or et de la politique, du négoce et du passé. La lecture de Pickwick, celle d’Oliver Twist, par le même auteur, laissent l’esprit mécontent ; on n’a vu se soulever qu’un seul coin du voile ; une seule classe d’êtres minimes s’est révélée.

Miss Emma Roberts peint les mœurs de l’Inde anglaise, les cargaisons de filles à marier qui vont y chercher des époux, les décep-