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gleterre de la campagne, demeure intacte ; elle travaille, laboure ou sommeille dans ses petits villages fleuris et moussus, sous les ombres modestes de ses collines vertes, et sous la protection de ses clochers normands. Marie Howitt et miss Mitford redisent ces labeurs et ce repos ; leurs pages ont en général plus de charme et de valeur ; leur analyse s’adresse à des détails moins fugitifs et plus touchans. Les Provincial Sketches, ouvrage anonyme, offrent, dans ce genre, une raillerie originale et très acérée. Mais le cri de la réforme se fait entendre ; une foule abusée imagine que le mécanisme social peut se réparer comme une horloge ; miss Martineau prend la plume et rédige, en forme de contes, les dogmes de la statistique, science positive qui réduit les chimères à l’état solide et enferme des données vagues dans des chiffres d’airain. Quelques-uns raillent les nouveaux travers nés de ces erreurs : cette jalousie donnée pour sublime, et ce fanatisme de la matière, et cette théologie du chiffre, et ce mysticisme de l’or. L’Écossais Galt, en deux excellens petits pamphlets, costumés en romans, frappe l’indifférence des uns, la cupidité et l’envie des autres. Des sentimens ou des idées que la société anglaise jette au vent de l’observation, rien ne se perd ; tout se tourne en roman, même le calembour. Il existe maintenant un certain homme d’esprit qui se nomme Hood, et qui travaille constamment dans ce genre singulier, à raison de six volumes par année, de douze contes par volume et de deux calembours par ligne. Punster infatigable, qui n’est condamné à ce métier par aucun édit du parlement, il en fait en vers, il en fait en prose, il les déclame, il les invente, il les rêve, il les imprime il les dessine, il les grave et les lithographie lui-même. Dans cet atelier immense du roman, tout se forge à neuf, une perpétuelle fournaise bruit, toutes les réalités deviennent fictions, et toutes les fictions réalités.

Il est inutile de suivre pas à pas la marche de cette armée. Si nous en étudions le mouvement général, nous trouverons que depuis Monk Lewis jusqu’à notre époque, le roman britannique n’a pas cessé de s’éclaircir, de s’égayer, de dérider son front et de désopiler sa rate. Traversant les charniers de Lewis, les tombes d’Anne Radcliffe, les caveaux de Maturin, les chaumières de Godwin, pour s’arrêter avec gloire au bord des lacs brumeux de l’Écosse, et venir s’affadir et s’étioler sous les lambris de Portland-Place, dans les comptoirs de Threadneedle-Street et dans les tavernes de Billings-gate, il est enfin arrivé à la grosse joie de Pickwick. Le nom répété, le nom fameux est aujourd’hui celui de Charles Dickens, son auteur.