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thétique et simple, mais rappelant presque toujours la forme élégante et un peu lâche de Beaumont et Fletcher, deux auteurs peu connus en France, écrivains remarquables, qui continuèrent Shakspeare avec plus de fécondité dans la diction, moins de profondeur dans la pensée, moins de sérieux dans l’observation ; chantres plus passionnés que profonds, plus fleuris que graves, plus ingénieux que convaincus.

Personne, aujourd’hui, pas même M. Édouard Litton Bulwer, dont la Lyonnaise (Lady of Lions) a eu quelque succès, ne rentre franchement dans la voie de l’observation shakspearienne, la seule qui puisse renouveler le drame britannique. Depuis Chaucer jusqu’à Spencer, et depuis Bacon jusqu’à Walter Scott, l’originalité anglaise n’a qu’une source, l’étude des caractères humains ; à elle seule s’attache Shakspeare, dont La Bruyère est l’expression philosophique et diminuée, et qui ne néglige pas l’analyse dans la peinture même de la passion et de ses orages : de là sont éclos Macbeth, Hamlet, Iago, Desdemone, même Béatrix, même la nourrice de Juliette, les êtres les plus complets dont la philosophie ait fait présent à l’imagination. La Grande-Bretagne admire encore Ben-Johnson, chercheur minutieux des singularités et des phénomènes humains. Jamais, quoi qu’elle ait pu faire, elle n’a sincèrement applaudi à la passion pure, telle que le doux et profond Racine la développe, son drame à elle, c’est la vaste critique de l’humanité. Elle l’a saluée tour à tour chez Ben Johnson, Massinger, Dekker, Buckingham, Sheridan ; répudiant sur la scène Dryden et Rowe et le doux Otway, que l’on joue à peine deux fois par année. Changerez-vous le génie des nations ? Jamais. Walter Scott, élève de Shakspeare, a conquis la gloire par cette lucide intelligence de tous les intérêts, de toutes les ames, de toutes les faiblesses, qu’il a portée à son tour dans le roman. M. Bulwer n’a dû la renommée de Pelham et de Maltravers qu’à la sagacité méditative dont il a souvent fait preuve. Pourquoi, lorsque le fonds de l’esprit national subsiste, le drame se détache-t-il de cette racine de tout succès ? Avec des incidens romanesques et un dialogue sentimental, il ne parviendra point à vaincre l’indifférence d’un peuple de négoce, d’affaires, de labeur, qui redoute surtout la puérilité, qui s’est habitué à l’analyse, dont la discussion, l’examen et l’enquête constituent la vie commune, et qui se laissera toujours dominer par les vues de son esprit, beaucoup plus que par l’impétuosité de ses passions.