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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

On n’a pas écrit l’histoire du théâtre anglais, histoire pleine d’originalité et de variété. Elle se partage en trois phases, qui sont les trois expressions de la société britannique.

Chez tous les peuples, le théâtre ressemble à ces fleurs magnifiques et avares, dont la corolle, épanouie une seule fois, développe alors sa splendeur, verse tous ses parfums, déploie toute sa majesté, pour ne donner ensuite que quelques frêles boutons, dévorés par le premier hiver. La première époque du théâtre anglais, celle de Shakspeare, a seule de la valeur. Sous Élisabeth, la sauvage ardeur de l’intelligence anglaise éclate à l’improviste ; puissance concentrée, méditative, pénétrante, et qui ne s’adresse aux passions qu’en traversant la pensée. Le monde s’ouvre ; il faut peindre tous ces caractères d’hommes ; il faut reproduire cette variété du sort et des conditions terrestres : il faut redire cette lutte de l’individu contre le destin. Shakspeare règne ; autour de lui, avant lui, après lui, que de proconsuls, d’acolytes et de ministres ! Marlowe, Dekker, Webster, Beaumont, Fletcher, Massinger, noms bien plus dignes d’estime qu’on ne le pense en Europe, éclipsés non-seulement par la grande ombre de Shakspeare, mais par la vétusté de leur langage et l’obscurité des allusions. C’est l’ère de l’observation et de la sagacité portées dans le drame, souvent poussées jusqu’aux limites du génie.

Ce beau travail de l’esprit et cette grande fécondité dramatique vont se perdre dans les nuages du puritanisme et dans la tempête des guerres civiles. La seconde époque du drame anglais relève de la France. Dryden imite les Artamène et les Cyrus ; Wycherley, Farquhar, Vanbrugh et Rochester exagèrent la gaieté de Molière et doublent la licence de George Dandin et du Cocu imaginaire. Les mœurs de Charles II montent sur la scène, pour y coudoyer les subtiles exaltations dérobées aux romans de Mlle de Scudéry. Pas une œuvre de cette époque qui remplisse les conditions du drame. Le talent étincelle en gerbes éclatantes, qui s’éteignent en fumée. Les Almanzor et les Orondate de Dryden sont des héros de pierre ou de cuivre, retentissans et vides ; les mauvais sujets de Congrève et de Farquhar, des machines à bons mots, qui dépensent tout leur esprit en puériles saillies. Les monumens incomplets qui nous restent de cette époque sont deux ou trois ouvrages recommandables par des qualités diverses : la bonne farce de Buckingham ; la vive intrigue de Wycherley, the Provoked wife ; et les dialogues scintillans du Double Dealer de Congrève. Mais le faux, le mensonge, une teinte louche et équivoque, déparent tous ces ouvrages. On voit trop que leurs auteurs