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they, comme le métal sort de la fournaise ardente. La sévérité de son goût l’isole.

C’est la subtilité qui distingue Wordsworth, cet ermite de l’art poétique, caché dans les bois du Westmoreland, à côté de Southey, son ami. Wordsworth est plus connu par son influence que par les imitations étrangères ; on ne peut le traduire. Les graces de son rhythme, de sa diction, de sa pensée, portent des caractères d’inappréciable finesse, qui va jusqu’à la profondeur et s’égare jusqu’à l’obscurité. C’est une subtilité émue ; c’est un point délicat saisi entre le naïf et le sublime, c’est la réduction du vulgaire en merveilleux et la transformation des choses humbles en choses divines ; ascétisme théologique et analyse de psychologue. Pour être aimé de tous, il y a là quelque chose de trop haut à la fois et de trop délié. Mais les intelligences sensibles et exquises trouvent dans ces qualités périlleuses une source vive de délices secrètes ; c’est M. Sainte-Beuve parmi nous, qui, sans avoir copié ses formes, semble se rapprocher davantage de l’essence même de son talent. Ces quatre poètes produisent peu aujourd’hui, et toujours dans l’ordre d’idées et la couleur de style qui ont illustré leur âge mûr. Quelques esprits singuliers ou incomplets, qui datent de cette même époque, n’ont pu atteindre la célébrité que récemment : Walter Savage Landor ; Leigh Hunt, journalistee facile, d’une imagination prompte et d’un style souple ; Edgerton Brydges, qui a vainement prétendu à la pairie, et qui, mécontent des hommes, et des choses, est allé promener sur les bords du lac de Genève son érudition bibliographique, ses fantaisies de penseur, ses rêveries de poète, fécondes en remarquables sonnets, sa longue barbe et son austérité mélancolique.

Wordsworth, Southey, Campbell, Thomas Moore, se détachent de la génération actuelle par une qualité intime et souveraine : ils croient. Leur intelligence n’a point donné accès à ce principe de mort, plus fatal que le scepticisme, dont il est la création rachitique, et qui se nomme l’indifférence. Dans le mysticisme de l’un, dans les exagérations passionnées du second, dans l’habileté du troisième, dans les caprices narratifs de l’Irlandais, la confusion du bien et du mal, du vice et de la vertu, du beau et du laid, ne se font point sentir. Prenez-y garde : c’est le symptôme délétère, la tache funèbre qui annonce la grande dissolution. Une erreur fixe vaut mieux qu’une vérité flottante ; n’être certain de rien, c’est abandonner Dieu, c’est vivre dans le néant. Vous retrouvez ce terrible vague dans la décadence de Rome, dans la gangrène du Bas-Empire, partout où les na-