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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

encore le plan de pantisocratie, ou d’égalité complète, qu’il avait conçu ou rêvé avec son ami Coleridge ; ode magnifique, qui n’a qu’un seul tort : elle détruisait l’humanité. Il écrivit ensuite, sous forme de dithyrambe, des narrations aux longs replis, parées de tous les reflets de l’Orient, et diversement jugées ; puis, désabusé jusqu’à l’amertume, comme il arrive à tous ceux qui se sont enivrés de beaux mensonges, il consacra la seconde moitié de sa vie à nier en prose les chimères poétiques de ses premiers ans. Sincère, quoi que l’on ait pu dire, dans sa palinodie, comme dans son enthousiasme, son Histoire de la Marine anglaise et son Livre de l’Église, livres écrits d’un style fier et grave, prouvent que la patience des recherches se concilie aisément avec la grace et la fermeté de la composition. Dans un dernier ouvrage, ses Conversations sur l’avenir, qui ne sont qu’une élégie du passé, son désenchantement devient éloquence ; il doute du renouvellement des destinées humaines, et demande, non sans raison, si l’on est bien sûr que tant de destructions seront fécondes. Question de temps et d’espace que les germes de la civilisation nouvelle se développeront un jour, la chose est peu douteuse ; mais combien de siècles demanderont-ils pour éclore ?

En face de ce philosophe, né dans le peuple et aristocratique par le sentiment, se pose le vieux poète des salons, le chantre des amours et des fées, l’ingénieux Moore, toujours si ironique, et qui n’a point pardonné au pouvoir depuis sa brouille avec le prince-régent. Peut-être Moore et Southey, dans leur irritation poétique, ont-ils exagéré les torts de leurs anciens amis, sans comprendre que toutes les amitiés se composent de mille torts pardonnés. La poésie de Moore est bien connue en France ; poésie de colibri, à l’aile diaprée, au ramage divers, aux mille caprices, prodigue d’émeraudes et de saphirs, et qui a voulu joindre à cette richesse celle d’une érudition empruntée. Le souffle lyrique est en lui. Sa prose, trop maniérée, atteint souvent l’effet qu’elle cherche toujours. Comme Southey, il a le sentiment du rhythme, l’éclat de l’image, le secret de l’harmonie ; il est poète.

Thomas Campbell, qui depuis long-temps a renoncé à la poésie, et qui a dirigé des Revues, est poète aussi : on ne peut mieux le comparer qu’à M. de Vigny. Sa strophe pure, transparente, d’une forme choisie, d’un sens précis, souvent profond, étincelle comme le cristal curieusement taillé. Il a fait des vers admirables, et l’on s’aperçoit qu’il les a faits ; l’avenir conservera peut-être avec plus de vénération des œuvres travaillées avec tant d’amour, que les débauches inspirées qui s’échappent en bouillonnant de la plume de Sou-