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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

plètes, que j’ai pu recueillir sur ce personnage étrange, il me semble qu’il représente une époque de l’histoire de Suède, dont le fait essentiel paraît aujourd’hui indiquer le temps où une race d’hommes, grands, forts et bien armés, chassa vers le Nord les tribus éparses qui occupaient les parties méridionales de la contrée. Cette haute stature, cette puissance surhumaine que l’on attribue à Stallo, les Lapons, avec l’exagération de la peur, n’ont-ils pas dû l’attribuer également aux Goths, quand ils se trouvaient face à face avec eux ? Ces combats perpétuels, où le géant lutte par la force contre des adversaires qui se défendent par la ruse, ne représentent-ils pas exactement le combat qui eut lieu entre les deux peuples ? De même que l’invasion des Goths dans le Nord et la migration forcée des Lapons sont environnées d’un voile épais, de même aussi l’origine de Stallo. Ceux qui racontent si bien ses courses aventureuses, ses luttes violentes et ses actes de cruauté, ne savent ni en quel temps, ni en quel lieu il est né. Mais on sait comment il est mort. Un jour, un pêcheur lapon renommé pour sa force trouva dans son bateau une lourde pierre. Il la prit d’une main vigoureuse, et la jeta à une longue distance de lui en s’écriant : « Si Stallo était là, je la lui lancerais à la tête. Stallo, qui avait apporté cette pierre dans la barque pour éprouver la force du pêcheur, y mit le lendemain une autre pierre plus lourde encore. Le Lapon l’enleva en répétant la même menace que la veille. Le troisième jour, il en trouva une si haute et si large, qu’à peine put-il la tirer de son bateau, et cette fois il s’en alla sans murmurer une parole. À quelque distance, il rencontre Stallo qui l’attendait et le provoqua. La lutte s’engage. Le Lapon, après de courageux efforts, se sentant prêt à succomber, appelle les dieux de la montagne à son secours, et leur promet les dépouilles de son ennemi, s’il parvient à s’en rendre maître. Les dieux exaucent sa prière ; Stallo chancelle. Le Lapon se précipite sur lui, le renverse et lui coupe la tête.

Les deux histoires que M. Lœstadius nous raconta présentent un singulier caractère d’astuce et de barbarie.

Un jour, après toutes ses déprédations, Stallo se trouva dans un tel dénuement, qu’il résolut de manger un de ses enfans. Il avait un garçon et une fille. Il appela sa femme, et lui demanda lequel des deux il devait tuer. La mère proposa le garçon, qui courait toujours à travers champs et ne lui servait à rien. Stallo, par le même motif, proposa sa fille. Il s’établit là-dessus une discussion opiniâtre. Enfin le père l’emporta, et la fille, qui, sans être vue, avait assisté à cet affreux entretien, et qui venait d’entendre prononcer son arrêt, s’échappa à la dérobée, et prit la fuite. Elle arriva dans une habitation laponne où on la reçut charitablement, et quelques années après elle épousa le fils de celui qui lui avait donné asile. Lorsqu’elle fut devenue mère, son mari lui dit : « N’irons-nous pas voir tes parens ? — Non, répondit-elle, j’ai peur qu’ils ne me tuent. » Il se moqua de ses frayeurs, attela les rennes aux traîneaux, et partit avec elle. Stallo et sa femme les reçurent tous deux avec de grands témoignages d’affection, et la jeune femme