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verge du guide ; d’autres tentaient de fixer leurs pieds dans le sol et retombaient en arrière. Les plus robustes, après avoir été en avant, s’appuyaient contre des bouleaux qui se brisaient sous leur pression. À peine avions-nous fait le tiers du chemin, que cinq d’entre eux s’affaissèrent sous leur fardeau et glissèrent au bas de la montagne. Nous accourûmes à la hâte, les croyant à demi morts. Tous les cinq étaient encore sains et saufs ; mais, après cette rude épreuve, nous vîmes qu’il était impossible de les conduire avec leur charge au sommet de la montagne. Chacun de nos hommes prit une partie des paniers, qu’il porta péniblement sur ses épaules ; après quoi les chevaux marchèrent en meilleur ordre. Les flancs de cette montagne que nous avions eu tant de peine à gravir étaient couverts d’une végétation abondante. À travers la mousse épaisse, on distinguait le rubus camemorus au suc frais et légèrement acide, à la couleur rose comme une framboise ; le myrtile portant sur ses tiges légères les petites baies bleues aimées dans ce pays, et l’impetrum nigrum qui donne d’autres baies plus petites encore et plus foncées. À côté des arbustes au feuillage sombre, s’élevait la renoncule jaune sous les branches rampantes du bouleau nain. De là nos regards planaient sur un vaste espace. Nous voyions se dérouler devant nous la plaine de Kaafiord, avec les bois épais qui l’inondent et la rivière qui la sillonne. Plus loin on apercevait la fumée des mines, le golfe d’Alten, les montagnes de Bossekop. Nous pouvions distinguer encore les lieux où nos amis allaient séjourner, et leur adresser un dernier adieu.

Sur la cime de la montagne nous trouvâmes un plateau nu et dépouillé de plantes, un peu plus loin des touffes d’herbe et une forêt de bouleaux dévastée par le temps et l’orage plus que par la hache du bûcheron. Nos chevaux et nos hommes étaient également fatigués, et nous nous décidâmes à rester là, quoique nous n’eussions pas fait dans la journée plus de cinq lieues. Mickel Johansson, notre pilote lapon, prit dans sa poche de toile une cuillère en bois, couverte d’un peu de soufre ; il y mit de l’amadou, un morceau d’écorce, et, avec les branches desséchées de la forêt, nous alluma en quelques instans un grand brasier. Nous dressâmes notre tente au milieu des arbres, tandis que nos guides en faisaient autant de leur côté. Bientôt la chaleur du foyer raviva leurs membres engourdis par l’humidité ; la ration d’eau-de-vie que nous leur distribuâmes réveilla leur gaieté, et les cris de joie succédèrent parmi eux aux soupirs qu’ils avaient quelquefois exhalés sous leur lourd fardeau. Après souper, M. Lœstadius s’assit sur une peau de renne auprès du feu, alluma sa pipe, et nous proposa de nous raconter des traditions laponnes. Nous nous rangeâmes à la hâte autour de lui, et il nous parla de Stallo.

Stallo était un géant monstrueux, dont le nom s’est perpétué de siècle en siècle sous la tente laponne. On cite de lui des aventures merveilleuses qui, si je ne me trompe, cachent sous leur apparence fabuleuse un point de vue historique. D’après les notions, du reste assez décousues et assez incom-