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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

nous entendions des hurrah répétés par une foule nombreuse : c’étaient les habitans de la ville qui venaient là se rassembler sur la grève, et nous exprimaient une dernière pensée d’affection, un dernier vœu. L’aspect de notre corvette, avec ses officiers étendant encore vers nous une main de frère, et ses matelots penchés sur les vergues, l’aspect de cette population qui se pressait au bord du rivage, et tous ces signes d’adieu, tous ces mouchoirs agités dans l’air, tous ces cris partis du cœur, avaient quelque chose de saisissant. Plus d’une paupière alors devint humide, plus d’un regard fut voilé par une larme. Dans ce moment, nous quittions, à l’extrémité du Nord, nos compatriotes que nous ne reverrions peut-être pas de long-temps, et des étrangers dont nous étions devenus les amis et que nous ne reverrions peut-être jamais.

Le soir, nous arrivâmes à Kaafiord. Le directeur des mines, M. Crowe, nous reçut avec sa cordialité habituelle. L’arrivée subite de douze personnes ne l’effraya point. Sa table s’allongea, et ses chambres se garnirent de lits à volonté.

Le lendemain, nous partîmes pour Bossekop. M. Gaimard devait présider à l’installation de nos compagnons de voyage, qui devaient faire là, pendant l’hiver, une série d’observations astronomiques et magnétiques, et moi j’avais voulu m’associer à son voyage, curieux de voir un lieu que ces observations illustreront sans doute.

Bossekop (baie de la Baleine) est une colline élevée au bord d’un des golfes d’Alten, revêtue en été d’une belle verdure et parsemée d’habitations. Au milieu s’élève celle de l’ancien marchand de district, M. Clarck, qui acheta, il y a une vingtaine d’années, ce terrain, et y fonda une colonie. La plupart des pêcheurs finlandais, groupés autour de sa demeure, paient encore, chaque année, à sa veuve, une redevance de trois à quatre jours de travail. La maison de M. Clarck, bâtie en face de la mer, est large et commode. C’est là que nos compatriotes demeureront. Au nord et au sud, ils ont déjà commencé à établir leur observatoire, et les bateaux de Kaafiord leur ont apporté tous leurs instrumens en bon état.

Près de Bossekop s’étend une forêt de pins traversée par une belle avenue comme un parc. Cette terre présente un phénomène curieux. À quelques lieues de distance, on ne trouve plus aucune trace de végétation, et ici on voit des pins, des bouleaux, des enclos de gazon, des champs ensemencés. À Murbakken, un paysan industrieux a fait d’une moitié de colline un joli jardin, coupé par plusieurs plates-bandes traversées par des lignes d’arbres et parsemées de fleurs. Quand nous le visitâmes, deux rosiers sauvages venaient de s’épanouir au pied du mur qui les protège ; le bon propriétaire les contemplait avec une joie naïve. En nous montrant leurs légers rameaux et leurs boutons à demi ouverts, il cherchait à lire dans nos yeux un sentiment de surprise ; on eût dit qu’il nous montrait une plante inconnue. Puis, après nous avoir raconté, avec une grande précision, en quelle année il avait planté ces précieux arbustes et quelle peine il avait eue à les préserver de l’orage, il